Ce serait certes à pisser de rire, n'y eût-il tant de larmes amères — de pétards qu'ornent fentes ? — à ravaler.
La vieille antienne de la chasse à l'homme se calque désormais sur les exigences nazies d'autodafé de l'art dégénéré.
Polanski a réalisé nombre de chefs d'œuvre cinématographiques (Cul-de-sac, Le couteau dans l'eau, Répulsion, Le locataire, Le bal des vampires, Chinatown, etc.) mais il s'est conduit en immonde salopard après l'assassinat se son épouse, Sharon Tate, par Charles Manson : il a violé une gamine de treize ans — Samantha Gailey — qu'il avait droguée dans ce but.
Après avoir dédommagé la famille de sa victime pour échapper aux poursuites judiciaires, il est retourné tranquillou poursuivre son œuvre de cinéaste, réalisant notamment un bijou intitulé Tess.
Au début du XXIe siècle, peu après l'incrimination de Harvey Weinstein et le déploiement de la salubre vague #MeToo, le boomerang de son viol lui est revenu en pleine tronche et le gars s'est retrouvé cramé, mort à jamais, on lui crache dessus de partout dans les festivals du monde entier.
Mais nul.le n'a cependant jeté pour autant ses films aux orties (même s'il a commis pas mal de bouses à partir de Pirates !) : c'est l'homme qui est jugé infâme, pas son œuvre.
Louis-Ferdinand Céline, génie incontestable de la littérature du XXe siècle, a chafouinement dénoncé dans une lettre à Je suis partout Robert Desnos comme Juif et exigé sa déportation, et Desnos est ensuite mort de cette déportation mais cela n'a pas empêché Céline d'écrire, lors des tracas que lui ont valu à la Libération ses pamphlets antisémites : « Il n’y a jamais eu de persécutions juives en France. Ils ont toujours été parfaitement libres de leurs personnes et de leurs biens en zone de Vichy. – En zone Nord ils ont reçu pendant quelques mois une petite étoile (quelle gloire !) Et l’on n'a confisqué que quelques biens juifs (avec mille chichis !) Que l’on leur a rendus depuis lors et comment ! dix fois la mise ! »
L'affaire est entendue : Céline est une infecte raclure antisémite mais son œuvre littéraire (hormis les pamphlets, ça va de soi) relève du Panthéon.
Polanski, Céline (j'ai choisi au pif, embrassez qui vous voudrez) : tous deux d'abjects salopards mais (hélas ?) d'immenses génies créateurs.
Chacun choisit son camp comme il se sent (et souvent ça pue grave de miasmes délétères).
Pour ma part, je l'avoue sans fard, j'en ai rien à carrer des crimes de l'auteur, c'est pas lui qui m'intéresse, c'est ce que sa créativité m'a offert.
Genre Pierre-François Lacenaire, criminel mais poète et mémorialiste talentueux.
Laissez-moi me marrer : on réédite depuis des siècles Platon, pédophile notoire et enculeur de garçonnets, et que sait-on des turpitudes qu'ont pu infliger, au pif, Villon, Rabelais, Théophile de Viau, La Fontaine, Montaigne ?
Proust écrivait dans Contre Sainte-Beuve :
« L’œuvre de Sainte-Beuve n’est pas une œuvre profonde. [Sa] fameuse
méthode […],
qui consiste à ne pas séparer l’homme et l’œuvre, à considérer qu’il
n’est pas indifférent pour juger l’auteur d’un livre […] d’avoir d’abord répondu aux questions
qui paraissaient les plus étrangères à son œuvre (comment se
comportait-il, etc.) […] Cette méthode méconnaît ce qu’une fréquentation
un peu profonde avec nous-mêmes nous apprend : qu’un livre est le
produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos
habitudes, dans la société, dans nos vices. »
Mais voilà qu'avec l'affaire Bastien Vivès la question ne se pose plus : on ne fustige plus seulement l'homme, ou l'œuvre, mais tout uniment les deux, mon capitaine.
D'abord des ligues de vertu (de sinistre mémoire) s'insurgent contre la programmation en janvier 2023, par le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, d'une exposition consacrée à Bastien Vivès, auteur pas seulement de délicats récits des premiers émois amoureux : il a commis d'affreuses pédopornographeries avec un gamin doté d'un membre monstrueux (publiées en toute légalité, soit dit en passant, sans que ne se hausse le sourcil d'un quelconque fonctionnaire).
L'œuvre est donc dénigrée, vouée aux gémonies, qu'importe la virtuosité de l'artiste.
Puis les ragots sociaux font remonter des bas-fonds d'Internet de vieux relents du forum Catsuka de voici vingt ans, quand Bastien Vivès était âgé de guère plus, où il évoquait des fantasmes de pédophilie et d'inceste.
Des fantasmes assumés au point de les formuler, de vagues désirs, pas des souhaits impérieux.
Tous les cinéphiles se voileraient-ils pudiquement la face à la simple mention de Lolita ou de Baby Doll ?
En outre, il se trouve que bien plus tard, en 2017, Vivès a commenté de façon très peu amène sur sa page Fesse-Bouc d'alors un strip de sa collègue Emma, La charge mentale (que je trouve pour ma part fort bien troussé).
Alertée par des copain.es interloqué.es, Emma n'en eut rien à branler.
À raison, me semble-t-il : en aucune façon le fesse-bouqueux Bastien ne la menaçait directement, il ragotait et bravachait face à ses potes.
Mais cinq ans plus tard, le 12 décembre dernier, elle a instagrammé ceci, où finalement, tout bien réfléchi, elle a fini par se rendre compte du potentiel dangereux du soi-disant artiste :
Réseautage oblige, les artistes influent.es du festival ne se prononcent pas, ou alors bien discrètement.
Chers et chères collègues, il est temps de vous prononcer clairement, publiquement et visiblement sur ce personnage et ses productions illégales.
Et à @bdangouleme : franchement, LA HONTE. Déprogrammez.
En bio, le lien d'une pétition pour le retrait de cette exposition, car (j'espère) PERSONNE n'a envie d'être dans les yeux de Bastien Vivès.
(Emma n'en était d'ailleurs pas à son coup d'essai en matière de censure, puisqu'en 2018 elle a rameuté les foules internautes — « réseautage oblige » — pour faire disparaître de la circulation le livre illustré par Anne Guillard, On a chopé la puberté. La pétition lancée alors, et qui a majestueusement abouti, avait recueilli à peu près autant de signatures que celle contre l'expo de Vivès)
Qu'importe désormais la beauté de l'œuvre, fut-elle infâme, une fois l'homme avéré vil ?
Donc là, fait nouveau, c'est plus seulement l'artiste qui est attaqué en tant que pédopornographe, c'est de surcroît le prétendu génie qui s'avère être un immonde salopard : non seulement l'œuvre est à gerber, mais en plus son auteur est une pourriture dégueulasse !
La boucle étant bouclée, dès le surlendemain le FIBD a déprogrammé l'expo prévue.
On cause plus, on flingue : « Cachez ce sein que je ne saurais voir ! »
(Il est vrai que quinze ans ont passé depuis 2007, année où ce même FIBD couronnait le magnifique album d'Olivier Ka et Alfred, Pourquoi j'ai tué Pierre, réflexion autrement plus judicieuse sur la pédophilie : force est de constater que l'intelligence ne s'est pas accrue avec les années).
Vrai qu'il écrit bien Destouches. Z'avez observé, dans la première citation, l'usage des pronoms personnels sujets principaux de chaque phrase ? Le glissement polarisé du "ils" au "l'on" qui fait pencher la balance ; leur introduction à ce dont il est question par le "il" impersonnel ; l'opposition des deux parenthèses articulant la fin des "ils" au début des "l'on" en faisant passer le poids d'un plateau à l'autre de ladite balance ; en creux le "je" non exprimé paraissant n'y avoir rien à voir ! Les points d'exclamations décuplant une générosité rétrospective auto-administrée.
RépondreSupprimer"La plus parfaite salope de la littérature contemporaine." disait, très justement, un lecteur anonyme en 1936. Titre auquel Houellebecq, qui avait pourtant – lui aussi – bien commencé avec Extension du domaine de la lutte, concourt désormais. C'était, là aussi, avant qu'il circonscrivît son ressentiment contre un ennemi sous forme de race culturelle.
Les plus sales types sont reconnus par les plus sales époques. Celles-ci les forgent d'autant mieux que leur vacuité narcissique (leur absence, littéralement compensée, d'intériorité) les y apprêtent.
Merci pour la remarque pertinente, schizo, ainsi que pour le lien vers Le Petit Célinien — site fort riche dont j'ignorais l'existence.
RépondreSupprimerMais le lecteur de 1936 n'est nullement anonyme : il s'agit d'un certain Jean Etcheverry, de Biarritz, se présentant comme prolétaire.
Voir cette revue et plus précisément page 77.
Ou tout simplement chez notre ami Le Moine Bleu.
Ah !, merci à mon tour, George. Enchanté Monsieur Etcheverry ! Et merci une autre fois pour ce riche lien que vous me faites découvrir chez Le Moine.
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