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lundi 30 août 2010

Dans le monde réellement renversé


J'avais trente ans et l'heure était venue de proclamer ma présence sur Terre et, non, elle n'était ni vaine ni insipide et au moment où les circonstances m'étaient le moins propices c'était justement l'instant de les retourner en ma faveur, me disais-je, personne ne s'y attendrait et comme un diable surgissant de leur boîte j'allais saisir l'occasion qu'ils m'offraient de leur montrer qu'ils avaient tellement baissé les bras qu'ils marchaient désormais sur les mains.
Grégoire Bouillier, L'Invité mystère, Éditions Allia, 2004, pp. 30-31

Pour retrouver quelques bribes d'un monde où c'était encore la voûte étoilée que l'on apercevait la nuit en levant les yeux, on pourra écouter cette évocation de Pierre Mac Orlan que diffusait hier soir Mathieu Bénézet sur France-Culture :

vendredi 27 août 2010

Les aventuriers du RMI


Un ami fortuné me raconta un repas auquel il avait pris part et qui réunissait une demi-douzaine de Bédouins du désert. Après avoir mangé le contenu du grand plat commun, ils le nettoyaient avec une sorte de pain — ce que je fais moi aussi avec mon assiette —, et ensuite, ils versaient un thé brûlant toujours sur le plat, récupéraient le liquide et le buvaient. Autrement dit, ces hommes buvaient leur eau de vaisselle.


Nous nous doutions, mon ami fortuné et moi, qu'un tel souci d'économie signalait un état d'esprit particulier, très différent du nôtre. Ces hommes vivaient dans un environnement particulièrement hostile — le désert —, et nous supposions que, pour eux, tout gaspillage de nourriture était assimilé à une forme de suicide.

Je ne sais ce que mon ami fit de cette supposition, mais je décidai qu'elle changerait le cours de mon existence. Après tout, j'étais, moi aussi, dans un environnement hostile — en tant que citadin pauvre —, où le moindre fruit, pour n'avoir pas été cueilli sur l'arbre, avait son prix. Je pouvais donc aller jusqu'au bout de la leçon et considérer à mon tour le gaspillage de nourriture comme un suicide. Du jour au lendemain, plus aucune miette de pain ni aucun grain de riz n'échappa à mon attention. Et c'est ainsi que je n'eus plus à choisir entre manger pour vivre ou vivre pour manger : comme les Bédouins du désert, je mangeais pour ne pas mourir. Chaque repas devint un « pas encore »; l'heure était venue pour le poulet, la pomme de terre et la salade, mais la mienne pas encore.

Pour avoir adopté cette attitude, je sus par intuition que je connaîtrais à l'avance le jour de ma mort, ce qui me permettrait de faire des économies substantielles : cotise-t-on pour sa retraite si on doit mourir avant la date limite ? Achète-t-on une maison un mois avant de mourir ? Paye-t-on ses factures en retard ?

La mort n'étant pas pour tout de suite, ma vie suivait son cours. C'est ainsi qu'un jour j'invitai sans le savoir un aventurier à partager mon repas. Comme je lui rapportais cette histoire de Bédouins buvant leur eau de vaisselle, il m'avoua qu'il léchait systématiquement son assiette, les couverts et les casseroles, jusqu'à les rendre propres et brillants. À la fin des opérations, le doigt devait glisser sur l'assiette en faisant le même son que dans les publicités télévisées, quand un benêt euphorique veut prouver à un autre benêt qu'avec trente litres d'eau chaude et vingt-cinq centilitres de produit vaisselle X, on arrive à nettoyer une assiette. Mon invité me fit lécher les plats trois fois de suite, jusqu'à ce que le son de mon doigt sur la porcelaine l'eût satisfait.

Le temps de cette expérience, nous étions dans un rapport maître-disciple plutôt cocasse : je suivais scrupuleusement ses instructions, rempli de joie et de respect, considérant à l'égal d'un grand maître de kung-fu l'autorité de cet homme qui, certainement, avait dû lécher des centaines et des centaines d'assiettes.

Lorsqu'il fut parti, je lavai ma vaisselle et la rendis presque propre en moins de trente secondes, puis je convoquai mon comptable intérieur et lui demandai d'estimer les économies induites par ce nouveau comportement. La réponse ne manqua pas d'intérêt :
· Économie annuelle de liquide vaisselle : — 6 euros
· Économie annuelle d'eau chaude : — 40 euros
· Économie annuelle d'alimentation : — 10 euros
· Économie sur les cafés, la salivation consécutive au léchage de plat favorisant de façon très active la digestion : — 94 euros

Total sur l'année : — 150 euros


Soit quarante-et-un centimes d'économie journalière !

La cause était entendue, je lécherai mes assiettes. Mon enthousiasme pour cette pratique fut tel qu'il souleva quelques problèmes, que j'aurais volontiers soumis à des spécialistes de casuistique, jésuites ou rabbins, mais je dus me débrouiller seul : que faire, en effet, devant les non-initiés ? J'en étais arrivé, comme les chiens de Pavlov, à saliver dès que je voyais une assiette non nettoyée, et je devais presque me retenir de demander à mes commensaux la permission de lécher leur couvert — à ce moment de ma vie, si j'avais sombré dans l'excès, la folie, le stupre, ça aurait consisté à me faire engager comme plongeur dans un restaurant.


Jérôme Akinora, Les aventuriers du RMI, L'insomniaque, 2004, pp. 43-45



Fred Deux cause dans le poste

Dimanche 22 août à 13 h 30, France-Culture rediffusait un entretien entre Alain Veinstein et Fred Deux datant du 21 mai 2001.
Merci, trisTOC-, de me l'avoir signalé : vu la traditionnelle indigence des programmes d'été, qui augurent de pire en pire pour la grille de rentrée, je n'y aurais pas prêté attention.

vendredi 20 août 2010

Lumineux Echenoz


Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c’est possible. On aime mieux être au courant de l’instant chiffré où ça démarre, où les affaires commencent avec l’air, la lumière, la perspective, les nuits et les déboires, les plaisirs et les jours. Cela permet déjà d’avoir un premier repère, une inscription, un numéro utile pour vos anniversaires. Cela donne aussi le point de départ d’une petite idée personnelle du temps dont chacun sait aussi l’importance : telle que la plupart d’entre nous décident, acceptent de le porter en permanence sur eux, découpé en chiffres plus ou moins lisibles et parfois même fluorescents, fixé par un bracelet à leur poignet, le gauche plus souvent que le droit.

Or ce moment exact, Gregor ne le connaîtra jamais, qui est né entre vingt-trois heures et une heure du matin. Minuit pile ou peu avant, peu après, on ne sera pas en mesure de le lui dire. De sorte qu’il ignorera toute sa vie quel jour, veille ou lendemain, il aura le droit de fêter son anniversaire. De cette question du temps pourtant si partagée, il fera donc une première affaire personnelle. Mais, si l’on ne pourra l’informer de l’heure précise à laquelle il est apparu, c’est que cet événement se produit dans des conditions désordonnées.

D’abord, quelques minutes avant qu’il s’extraie de sa mère et comme tout le monde s’affaire dans la grande maison — cris de maîtres, entrechocs de valets, bousculades de servantes, disputes entre sages-femmes et gémissements de la parturiente —, un orage fort violent s’est levé. Précipitations granuleuses et très denses provoquant un fracas étale, feutré, chuchoté, impérieux comme s’il voulait imposer le silence, distordu par des mouvements d’air cisaillants. Ensuite et surtout, un vent perforant de force majeure tente de renverser cette maison. Il n’y parvient pas mais, forçant les fenêtres écarquillées dont les vitrages explosent et les boiseries se mettent à battre, leurs rideaux envolés au plafond ou aspirés vers l’extérieur, il s’empare des lieux pour en détruire le contenu et permettre à la pluie de l’inonder. Ce vent fait valser toutes les choses, bascule les meubles en soulevant les tapis, brise et dissémine les bibelots sur les cheminées, fait tournoyer aux murs les crucifix, les appliques, les cadres qui voient s’inverser leurs paysages et culbuter leurs portraits en pied. Convertissant en balançoires les lustres sur lesquels s’éteignent aussitôt les bougies, il souffle également toutes les lampes.

La naissance de Gregor se déroule ainsi dans cette obscurité bruyante jusqu’à ce qu’un éclair gigantesque, épais et ramifié, torve colonne d’air brûlé en forme d’arbre, de racines de cet arbre ou de serres de rapace, illumine son apparition puis le tonnerre couvre son premier cri pendant que la foudre incendie la forêt alentour. Tout s’y met à ce point que dans l’affolement général on ne profite pas de la vive lueur tétanisée de l’éclair, de son plein jour instantané pour consulter l’heure exacte — même si de toute façon, nourrissant de vieux différends, les pendules ne sont plus d’accord entre elles depuis longtemps.

Naissance hors du temps, donc, et hors de la lumière car on ne s’éclaire qu’ainsi à cette époque, à la cire et à l’huile, on ne connaît pas encore le courant électrique. Celui-ci, tel qu’aujourd’hui nous en possédons l’usage, tarde encore à s’imposer dans les mœurs, il ne serait pas trop tôt qu’on s’en occupe. Comme s’il s’agissait de régler cette autre affaire personnelle, c’est Gregor qui va s’en charger, c’est à lui qu’il reviendra de le mettre au point.


Jean Echenoz, Des éclairs, Éditions de Minuit, chapitre 1
En librairie le 23 septembre 2010

On pouvait entendre aujourd'hui cet écrivain rétif au cirque médiatique sur les ondes de France-Culture, dans l'émission Voyage en Transsibérien :



« Les mots sont beaucoup plus intéressants que les choses »

jeudi 19 août 2010

Apanage ? L'enfumage n'a pas d'âge…

La grosse femme en uniforme, au contrôle de sécurité, regretta immédiatement d'avoir demandé à Dortmunder d'enlever ses chaussures ; il le devinait. Mais elle était trop professionnelle, ou peut-être trop groggy, pour le laisser paraître. Auréolé de cette petite victoire sur la police des airs, il rejoignit Medrick à une table trop petite dans une cafétéria franchisée surpeuplée pour boire un café infect. Là, Medrick déclara :
— Pour moi, tout vient des signaux de fumée.
— Hmmm, fit Dortmunder.
— C'est pour ça qu'on en est là.
— Hmmm, fit Dortmunder.
À cette heure-ci [07 h 15, NdGWFW], il était prêt à tout entendre sans réagir.
Mais Medrick avait une démonstration à faire et il était décidé à aller jusqu'au bout.
— Ce qui nous a tués, ce sont les technologies de la communication. Maintenant, on a Internet. Avant ça, on avait la télé, la radio, les journaux, le téléphone, le sémaphore, les télégrammes, les lettres, mais tous ces trucs-là, ça remonte aux signaux de fumée, tous les problèmes viennent de là.
— Évidemment.
Medrick secoua la tête.
— Hélas, dit-il, je crois que la société n'est pas prête à revenir aussi loin en arrière.
— Sans doute, dit Dortmunder en bâillant.
Peut-être qu'il pourrait boire le café, finalement.
— Pourtant, c'est ce qu'il faudrait, insista Medrick, pour réinstaurer un peu d'honnêteté dans ce monde.
Dortmunder posa sa tasse.
— C'est ça qu'on cherche ?
— Oui, à cet instant précis. Avec les signaux de fumée, c'était la première fois dans toute l'histoire de l'humanité que vous pouviez dire quelque chose à quelqu'un sans qu'il vous voie quand vous vous adressiez à lui. Vous me suivez ?
— Non.
— Avant les signaux de fumée, si je voulais vous dire un truc, il fallait que j'aille jusqu'à vous et que je vous parle en face. Comme je suis en train de le faire maintenant. Vous pouvez voir mon visage, entendre la manière dont je parle, déchiffrer mon langage corporel et vous demander : ce type essaye-t-il de ma baratiner ? Vous pigez ?
— Le contact visuel.
— Exactement. Certes, les gens se mentaient quand même, sans conséquences, mais c'était moins facile. À partir du moment où les signaux de fumée sont arrivés, vous ne pouviez plus voir le type qui vous racontait une histoire ; si ça se trouve, il pouffait dans sa main sans que vous le sachiez.
— Oui, c'est sûr.
— Et à chaque étape, ajouta Medrick, à chaque nouveau moyen de communication, c'est toujours plus de cachotteries. Depuis des milliers d'années, on construit un paradis pour les menteurs. C'est pour ça que les vidéophones n'ont pas connu le succès espéré : personne ne veut revenir au face-à-face.
— Oui, sans doute.
— Ça veut dire qu'ils ne renonceront jamais à tout le reste, conclut Medrick. Pour revenir aux signaux de fumée.
— Je crois qu'on ne s'en sert plus tellement, souligna Dortmunder.
— De toute façon, ce serait pour mentir.


Donald Westake, Surveille tes arrières ! (Watch Your Back !, 2005),
Rivages/Thriller, 2010, pp. 125-126. Traduit par Jean Esch.

Une époque révolue

Dessin d'Andy Singer

Bah, quelle importance ? Ce qui comptait, c'était « Phaze », le morceau qu'il composait en ce moment. C'était ça qui lui rapportait de l'argent, pas ce bar, maintenant qu'il avait compris que l'on pouvait faire payer la musique sur Internet. Qu'ils samplent sa fusion d'avant-garde s'ils voulaient, mais avant de la télécharger, ils devaient payer, toutes cartes de crédit acceptées. Il avait plus de clients au Japon et en Norvège qu'aux États-Unis, mais toutes les devises avaient cours sur le net.
Le O.J. Bar & Grill. Qui s'en souciait ? C'était dépassé, ça datait de l'époque où les gens sortaient de chez eux.


Donald Westlake, Surveille tes arrières ! (Watch Your Back !, 2005), Rivages/Thriller, 2010, p. 101. Traduit par Jean Esch.

« Dure à l'Ex », cède l'Ex



Ils mangèrent donc et ils burent du vin et, à la fin du repas, Bernard demanda : « Est-ce que j'ai ta parole, Andy, qu'au cas où je te dégotterais quelque chose sur cet oiseau, aucun acte illégal ne sera commis ? »
Kelp le regarda, l'œil rond : « Aucun acte illégal ? Écoute, Bernard, tu ne parles pas sérieusement ? Est-ce que tu sais seulement combien il en existe, de lois ? »
— D'accord, dit Bernard, en agitant une main apaisante. D'accord.
Mais Kelp était lancé et n'était pas près de s'arrêter.
— Tu ne peux pas marcher dans la rue sans enfreindre la loi, Bernard, dit-il. Chaque jour, on en vote une nouvelle et on n'annule pas les anciennes. Il est impossible de vivre normalement et légalement.


Donald Westlake, Personne n'est parfait (Nobody's perfect, 1977), Rivages/Noir n° 666, 2007, p. 185. Traduit par Henri Collard et Patricia Christian.

samedi 7 août 2010

Le fétichisme de la marxandise


75 000 €/34 = 2205 € et des poussières

Les 34 numéros de lettres et de manuscrits à forte connotation poétique, écrits par Guy Debord à Hervé Falcou entre 1949 et 1953, étaient finalement réunis pour ne former qu’un seul lot, qui atteignait 75 000 €. Les estimations les plus élevées des numéros n’excédaient pas 2 000 €. Le jeune Guy Debord n’a pas encore créé avec Asger Jorn l’Internationale situationniste (1954) et ne sait pas encore qu’il sera l’auteur de La Société du spectacle (1967). Cinéaste scandaleux, théoricien révolutionnaire, artiste expérimental, Guy Debord est irréductible à une définition, ce que montre déjà les écrits qu’il adresse à son double et ami Hervé Falcou. Ils se sont rencontrés sur les bancs du lycée Carnot à Cannes et partagent un amour identique pour l’art, l’histoire et les textes. Passionnés par le dadaïsme et le surréalisme, ils se prennent tantôt pour Rimbaud, tantôt pour Lautréamont. Ils boivent également beaucoup et se mettent même à imaginer un suicide commun et spectaculaire. Mais dans une lettre, Debord écrit : "Il est possible qu’ensemble nous définissions une vie et une écriture qui valent la peine d’être jouées. Seul j’y renonce. L’idée du suicide m’étant brusquement devenue étrangère, je végète. Ça pourrait durer longtemps. De toute façon j’en ai marre prodigieusement." Sa vie et son écriture, Guy Debord les forgera finalement sans Hervé Falcou. Quant au suicide, Debord le réalisera en se tirant une balle dans le cœur le 30 novembre 1994.

Progrès des nuisances


Celui qui avait, entre autres, repris la plume de Brecht l'a rejoint.
Salut, camarade !

vendredi 6 août 2010

Tisser des histoires, ou tailler des costards ?





On se croit de bois
On s'escrime de fer
On est blanc comme neige
Puis beige
Mais ça bouge
On voit rouge
Ou bien, tiens,
Rien

Merci, cher ami au sourire en coin, au regard toujours ailleurs, à l'intérieur, à la pensée si vive et venant de si loin, merci d'être venu me serrer la main.

Forains lâchés !

« Les forains en colère voulaient régler leurs comptes avec un gendarme qui avait gazé l'un d'eux » (Le Courrier picard)

Mercredi 4 août, 22 h : fermeture des attractions de la fête foraine à Albert (Somme). Une bagarre éclate entre quelques jeunes Albertins et [je cède la parole au journal local] les forains, qui préviennent les gendarmes.
À leur arrivée, le ton monte. « Ils ont été pris à partie et bousculés » affirme un témoin.
Une vitre de leur véhicule est même brisée. « Menacés, ils ont répliqué avec des gaz lacrymogènes », expliquait jeudi après-midi le lieutenant-colonel Raoult. Les circonstances de cette altercation ne sont pas encore déterminées.

Mais une foraine de 22 ans a pris le gaz liquide en plein visage, ce qui a entraîné la colère de ses collègues et le retrait des militaires qui sont partis se réfugier à la gendarmerie.
Une vingtaine de forains les a poursuivis, certains pour demander des comptes à un des militaires. Ils ont fait le siège du site alors qu'une trentaine de gendarmes appelée en renfort arrivait de tout l'est du département, ainsi que le commandant départemental.
Au même moment sur la place, trois individus brisaient les vitrines des commerces.
Après de longues discussions, la ville a retrouvé sa tranquillité vers trois heures. Jeudi matin, elle s'est réveillée sous le choc.
La mairie a décidé d'enrôler un second maître-chien. Mais riverains, forains et élus craignaient qu'une nouvelle étape soit franchie la nuit dernière, durant laquelle la ville a été quadrillée par les forces de l'ordre.


* * *
Je demande qu'il soit permis, comme par le passé, aux habitants d'Azai de danser le dimanche sur la place de leur commune, et que toutes défenses faites, à cet égard, par le préfet, soient annulées.
Nous y sommes intéressés, nous, gens de Véretz, qui allons aux fêtes d'Azai, comme ceux d'Azai viennent aux nôtres. La distance des deux clochers n'est que d'une demi-lieue environ : nous n'avons point de plus proches ni de meilleurs voisins. Eux ici, nous chez eux, on se traite tour à tour, on se divertit le dimanche, on danse sur la place, après midi, les jours d'été. Après midi viennent les violons et les gendarmes en même temps ; sur quoi j'ai deux remarques à faire.

Nous dansons au son du violon ; mais ce n'est que depuis une certaine époque. Le violon était jadis réservé aux bals des honnêtes gens ; car d'abord il fut rare en France. Le grand roi fit venir des violons d'Italie, et en eut une compagnie pour faire danser sa cour gravement, noblement, les cavaliers en perruque noire, les dames en vertugadin. Le peuple payait ces violons, mais ne s'en servait pas ; dansait peu, quelquefois au son de la musette ou cornemuse, témoin ce refrain : Voici le pèlerin jouant de sa musette : danse, Guillot ; saute, Perrette. Nous, les neveux de ces Guillots et des ces Perrettes, quittant les façons de nos pères, nous dansons au son du violon, comme la cour de Louis le Grand. Quand je dis comme, je m'entends ; nous ne dansons pas gravement, ni ne menons, avec nos femmes, nos maîtresses et nos bâtards. C'est là la première remarque ; l'autre, la voici :

Les gendarmes se sont multipliés en France, bien plus encore que les violons, quoique moins nécessaires pour la danse. Nous nous en passerions aux fêtes du village, et à dire vrai ce n'est pas nous qui les demandons : mais le gouvernement est partout aujourd'hui, et cette ubiquité s'étend jusqu'à nos danses, où il ne se fait pas un pas dont le préfet ne veuille être informé, pour en rendre compte au ministre. De savoir à qui tant de soins sont plus déplaisants, plus à charge, et qui en souffre davantage, des gouvernants ou de nous gouvernés, surveillés, c'est une grande question et curieuse, mais que je laisse à part, de peur de me brouiller avec les classes, ou de dire quelque mot tendant à je ne sais quoi.