Je t'attends samedi car, Alphonse Allais, car
À l'ombre, à Vaux, l'on gèle. Arrive ! Oh ! la campagne !
Allons — bravo ! — longer la rive, au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l'écart.
Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
L'attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombres, thé, des poires et des pêches…
Là, très puissant, un homme l'est tôt. L'art nourrit.
Et, le verre à la main, — t'es-tu décidé ? Roule —
Elle verra, là mainte étude s'y déroule,
Ta muse étudiera les bêtes ou les gens !
Comme aux Dieux devisant, Hébé (c'est ma compagne),
Commode, yeux de vice hantés, baissés, m'accompagne...
Amusé tu diras : « L'Hébé te soûle, eh ! Jean ! »
Jean Goudezki, août 1892
Jean Goudezki (1866-1934), de son vrai nom Édouard Goudez, était un joyeux drille du Chat Noir, mais par d'autres côtés un triste sire. Voici ce qu'en dit François Caradec, dans son Alphonse Allais (Belfond, 1994, pp. 282-283) :
Il est très vite connu dans les milieux montmartrois ; il fréquente les soirées de La Plume avec Allais, Auriol, Goudeau, Darien […] ; il publie en 1893 Les Vieilles Histoires, poésies mises en musique par Désiré Dihau (un Lillois) qu'illustre un lointain cousin du compositeur, Henri de Toulouse-Lautrec ; puis Les Montmartroises en 1895 ; fait représenter une revue, Au Parnasse, au théâtre d'ombres du Chat Noir en 1896 ; suit les tournées du Chat Noir en province (Gabriel Montoya le soupçonne d'avoir participé à la rédaction des biographies fantaisistes au verso du programme de la dernière tournée, en 1897) ; publie un recueil de contes chez Juven, Hercule, ou la Vertu récompensée en 1898. Ce que ses amis ne disent pas, c'est qu'il est farouchement antisémite et anti-dreyfusard. Les Premières Cartouches, « poésies satiriques politiques », qui paraissent en mars 1900 sous une couverture de Forain, ont été publiées l'année précédente dans L'Antijuif ; le titre devait être, précisément, Les Chants du prépuscule. Leur violence a certainement dû lui fermer quelques portes.
Il aura en tout cas accompli ce tour de force inégalé : le premier sonnet holorime de langue française.
En 1904, à 38 ans, il abandonne la versification et regagne son pays natal, Louvignies, pour y prendre la direction d'une usine de pâte de pommes. Et Caradec de citer ici un poème datant de 1895 :
Quand les poètes ne vont plus,
C'est qu'ils sont vidés ou perclus.
Les uns — par des sorts inégaux —
Ramassent de jolis magots,
Et les autres — les vieux mégots.