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jeudi 24 juin 2010

Invitation à venir à la campagne prendre le frais, une nourriture saine et abondante et des « bitures »

À Alphonse Allais

Je t'attends samedi car, Alphonse Allais, car
À l'ombre, à Vaux, l'on gèle. Arrive ! Oh ! la campagne !
Allons — bravo ! — longer la rive, au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l'écart.

Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
L'attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombres, thé, des poires et des pêches…
Là, très puissant, un homme l'est tôt. L'art nourrit.

Et, le verre à la main, — t'es-tu décidé ? Roule —
Elle verra, là mainte étude s'y déroule,
Ta muse étudiera les bêtes ou les gens !

Comme aux Dieux devisant, Hébé (c'est ma compagne),
Commode, yeux de vice hantés, baissés, m'accompagne...
Amusé tu diras : « L'Hébé te soûle, eh ! Jean ! »

Jean Goudezki, août 1892


Jean Goudezki (1866-1934), de son vrai nom Édouard Goudez, était un joyeux drille du Chat Noir, mais par d'autres côtés un triste sire. Voici ce qu'en dit François Caradec, dans son Alphonse Allais (Belfond, 1994, pp. 282-283) :
Il est très vite connu dans les milieux montmartrois ; il fréquente les soirées de La Plume avec Allais, Auriol, Goudeau, Darien […] ; il publie en 1893 Les Vieilles Histoires, poésies mises en musique par Désiré Dihau (un Lillois) qu'illustre un lointain cousin du compositeur, Henri de Toulouse-Lautrec ; puis Les Montmartroises en 1895 ; fait représenter une revue, Au Parnasse, au théâtre d'ombres du Chat Noir en 1896 ; suit les tournées du Chat Noir en province (Gabriel Montoya le soupçonne d'avoir participé à la rédaction des biographies fantaisistes au verso du programme de la dernière tournée, en 1897) ; publie un recueil de contes chez Juven, Hercule, ou la Vertu récompensée en 1898. Ce que ses amis ne disent pas, c'est qu'il est farouchement antisémite et anti-dreyfusard. Les Premières Cartouches, « poésies satiriques politiques », qui paraissent en mars 1900 sous une couverture de Forain, ont été publiées l'année précédente dans L'Antijuif ; le titre devait être, précisément, Les Chants du prépuscule. Leur violence a certainement dû lui fermer quelques portes.

Il aura en tout cas accompli ce tour de force inégalé : le premier sonnet holorime de langue française.
En 1904, à 38 ans, il abandonne la versification et regagne son pays natal, Louvignies, pour y prendre la direction d'une usine de pâte de pommes. Et Caradec de citer ici un poème datant de 1895 :
Quand les poètes ne vont plus,
C'est qu'ils sont vidés ou perclus.
Les uns — par des sorts inégaux —
Ramassent de jolis magots,
Et les autres — les vieux mégots.

vendredi 18 juin 2010

Préambule de la « Constitution sinistre » d’Abel Tiffauges

Toute ma gratitude à l'ami Pop9, qui a pris la peine de retrouver ce dessin, de le scanner et de me l'envoyer.

1. La sainteté est le fait de l’individu solitaire et sans pouvoir temporel.

2. Inversement, le pouvoir politique relève intégralement de Mammon. Ceux qui l’exercent prennent sur eux toute l’iniquité du corps social, tous les crimes qui sont commis chaque jour en son nom. C’est pourquoi l’homme le plus criminel d’une nation est celui qui occupe la position la plus élevée dans la hiérarchie politique : le Président de la République, et, après lui, les ministres, et après eux tous les dignitaires du corps social, magistrats, généraux, prélats, tous serviteurs de Mammon, tous symboles vivants du magma boueux qui s’appelle l’Ordre établi, tous couverts de sang des pieds à la tête.

3. À ces effrayantes fonctions, les organes répondent par un ajustement parfait. Pour satisfaire au plus abject des métiers une sélection à rebours se charge de trier sur le volet des équipes qui constituent le sublimé d’ordure le plus quintessencié que la nation puisse offrir. Il est établi que d’un conseil ministériel, d’un conclave, d’une conférence internationale au sommet se dégage une odeur de charogne qui fait fuir même les vautours les plus blasés. À un niveau plus modeste, un conseil d’administration, un état-major, la réunion d’un corps constitué quelconque sont autant de ramassis crapuleux qu’un homme moyennement honnête ne saurait fréquenter.

4. Dès l’instant qu’un homme fait la loi, il se place hors la loi et échappe du même coup à sa protection. C’est pourquoi la vie d’un homme exerçant un pouvoir quelconque a moins de valeur que celle d’une blatte ou d’un morpion. L’immunité parlementaire doit faire l’objet d’une
inversion bénigne qui en fera le droit pour chaque citoyen de tirer à vue et sans permis de chasse sur tout homme politique se présentant au bout de son fusil. Chaque assassinat politique est une œuvre de salubrité morale, et fait sourire de félicité la Sainte Vierge et les anges du paradis.

5. Il conviendrait d’ajouter à la constitution de 1875 un article aux termes duquel tous les membres d’un gouvernement renversé seront passés par les armes sans recours ni délai. Il est inconcevable que des hommes auxquels la nation vient de retirer sa confiance puissent non seulement rentrer chez eux impunis, mais encore poursuivre leur carrière politique auréolés de leur faillite frauduleuse. Cette disposition aurait le triple avantage d’éponger la sanie la plus cadavéreuse de la nation, d’éviter le retour des mêmes têtes dans les gouvernements successifs, et d’apporter à la vie politique ce qui lui manque le plus : le sérieux.

6. Tout homme doit savoir qu’en revêtant volontairement un uniforme quel qu’il soit, il se désigne comme créature de Mammon et encourt la vengeance des honnêtes gens. La loi doit compter au nombre des bêtes puantes qu’on peut chasser en toutes saisons flics, prêtres, gardiens de square, et même les académiciens.


Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, Gallimard, 1970 ;
rééd. coll. « folio » n°656, pp. 121-123

mardi 15 juin 2010

… et contre toute attente, vous êtes comme un héritier à l'ouverture d'un testament dont vous ignoriez l'existence

Ceux à qui il arrive d'écouter Du jour au lendemain, l'émission nocturne d'Alain Veinstein, comprendront de quoi il s'agit.
Cette séquence-là, du 17 septembre 2005, est tout à fait particulière puisque Veinstein, pour la première et unique fois, ne reçoit aucun écrivain : il met à nu une part de lui-même, pour marquer les vingt ans de l'émission, la 4700ème. On n'y entendra donc pas le célèbre « Mmmh » par lequel il ponctue régulièrement les réponses de ses invités.
Ce qu'on entendra, en revanche, c'est par exemple ceci : « On ne s'appelle pas Roudoudou sur France-Culture ! »



Bientôt un quart de siècle, que ce rouge-là s'allume…

Un grand merci à Patrick Rebollar pour m'avoir transmis ce document depuis l'autre bout du monde, sans nullement me connaître.

samedi 12 juin 2010

Avis aux auditeurs (bis)

Un assaut souterrain d'origine inconnue — mais dont l'insidieuse violence menaçait de décimer mine de rien la totalité des fichiers sonores de notre compte DiveChère — nous a contraint à batailler ferme pour repousser l'invisible et cruel ennemi.
Notre victoire paraissant à peu près acquise, même si la plus grande vigilance s'impose désormais, même si l'infirmerie peine à soigner les blessés attaqués par traîtrise, on peut de nouveau écouter l'intégralité de la première partie de l'autobiographie sonore de Fred Deux, ici.

jeudi 3 juin 2010

Vivre rondement


Pour ne vous point mentir, il n'y avoit aucun scrupule en elle, ny aucune superstition ; elle vivait si rondement que (si ce que l'on dit de l'autre monde est vray) les autres ames joüent maintenant à la boule de la sienne. Elle ne sçavoit non plus ce que c'est des cas de conscience qu'un Topinambou, parce qu'elle disoit que si l'on luy en avoit appris autresfois quelque peu, elle l'avoit oublié, comme une chose qui ne sert qu'à troubler le repos. Souvent elle m'avoit dit que les biens de la terre sont si communs qu'ils ne doivent estre non plus à une personne qu'à l'autre, et que c'est très sagement faict de les ravir subitement quand l'on peut des mains d'autruy ; car disoit elle : Je suis venuë toute nuë en ce monde : et nuë je m'en retourneray : Les biens que j'ay pris d'autruy je ne les emporteray point, que l'on les aille chercher ils sont, et que l'on les prenne, je n'en ay plus que faire ? quoy, si j'estois punie après ma mort pour avoir commis ce que l'on appelle larrecin, n'aurois je pas raison de dire à quiconque m'en parleroit que ce auroit esté une injustice de m'avoir mise au monde pour y vivre, sans me permettre de prendre les choses dont l'on y vit ?

Charles Sorel, Histoire comique de Francion [1623], Livre II, GF Flammarion n°321 (1979, texte établi par Yves Giraud), pp. 117-118

mercredi 2 juin 2010

Que ceux qui ont des oreilles…


Isoard est guéri a dit…

je suis quelque peu déçue par le procédé mais "affidé" et "perfide" ne sont-ils pas de la même famille !?!

vous avez trouvé là de quoi alimenter à peu de frais votre "excellent" blog.

peut on caresser l'espoir d'y découvrir aussi des nouveautés et une production un tant soit peu personnelle ?

ps : n'oubliez plus, à l'avenir, de prendre votre cholagogue