Le 5 février 1991, s’est éteint Patrick Cheval, poète anonyme du vingtième siècle, buveur très illustre, valeureux pêcheur et impeccable aventurier de la « bonne vieille cause ». Rappelons qu’en mai 68, au sein du Comité pour le Maintien Des Occupations, la responsabilité des tâches d’autodéfense et de ravitaillement lui furent confiées à l’unanimité — personne ne pouvant douter qu’il était le meilleur voleur de la bande… Voici son curriculum vitæ.
Je suis né en 1947, au mois de février, le neuf je crois. Après quelques longues et laborieuses années, je fus reçu à l’examen de fin d’études secondaires. Physiquement et moralement éprouvé, je dus m’inscrire dans une faculté afin de me rétablir par un repos mérité. Malheureusement, en cette fin d’hiver 1967, le campus de Nanterre n’était guère propice au repos. Nous nous aperçûmes vite que nous étions au centre d’une vaste expérimentation sociale à l’échelle de plusieurs milliers d’individus afin de tester leur résistance à de nouveaux (et modernes) stimuli. Pour aider à la réussite de cette intéressante expérience, un petit groupe de chercheurs auquel je m’associai prit la décision de répondre à cette espèce de questionnaire avec la plus grande sincérité et même de l’étendre à des aspects de la vie quotidienne qui n’avaient nullement été programmés au départ. Nos recherches poussées eurent quelques résultats imprévus ; la chute, puis la mise à la retraite d’un général connu pour son grand nez n’était pas le moins comique. A la fin de cette année, l’université n’existant virtuellement plus, je dus poursuivre mes études ailleurs. Dans le même temps, je subsistai épisodiquement par quelques-uns de ces emplois sans espoir ni dignité — mais ne dit-on pas qu’il n’y a pas de sottes gens, seulement de sots métiers ? Plus jeune, pour financer des vacances au casino de Palavas, j’avais travaillé comme balayeur-jardinier dans les entrepôts de l’armée américaine à La Pallice. Aussi, c’est tout naturellement que je trouvai un emploi de jardinier-balayeur au camping municipal de Boyardville (île d’Oléron). Peu après mon arrivée à Paris, le musée d’Art Moderne m’offrait un poste de gardien pendant la durée de la biennale. Mes souvenirs étant exacts, j’ai successivement été exploité comme standardiste au Salon de l’agriculture, enquêteur chez l’APTR, peintre en bâtiment, disc-jockey au casino de Saint-Trojan, régisseur à la campagne, peintre en bâtiment, gardien de nuit, patron d’hôtel, chômeur, formateur. Actuellement, je me consacre presque exclusivement à la pêche des grands poissons prédateurs tels que marlin bleu rayé, requin maquo, sailfish, palomine, thon obèse, albacore, tantogue, carangue crevelle, tassergal, acoupa royal, coryphène, élégatis, sériole australe, amberjack, calmar géant, etc. Je ne crois d’ailleurs pas que mon « profil » corresponde à l’emploi que vous proposez.
Sincèrement.
« En se séparant d'un voyageur », Mordicus n°4,
printemps 1991, p. 11
printemps 1991, p. 11
Dans cette intéressante veine, on peut prendre plaisir à lire les Lettres de non-motivation de Jérôme Prévieux (éd. Zones, 2009), à propos de quoi Article XI s’est naguère fendu d’un article, ainsi que l’excellent Les Aventuriers du RMI, de Jérôme Akinora (L’insomniaque éditeur, 2004) et les Mémoires d'un paresseux, d'Arthur (éd. de l'Alei, Dijon, 1988). Quelques citations enfin, sur cette page.