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Je me permets de reproduire ci-dessous, à propos de la suppression brutale de Du jour au lendemain, un commentaire très développé et particulièrement pertinent (un peu perdu dans les limbes du billet précédent), dû à un certain Viederland qui a atterri ici depuis le site de l'ami Fañch.
Je crois malheureusement que le sentiment de José est partagé par beaucoup : pourquoi le vieil homme refuse-t-il de se mettre à la retraite ? A découvrir pas mal d’autres réactions, pour la plupart haineuses, notamment sur un forum de news appartenant à Orange, j’ai pensé qu’il ne fallait pas chercher bien loin pour expliquer ces points de vue. Ce qu’on reproche à Veinstein, c’est sa santé même, odieusement couplée avec quelque chose qui à mon sens relève d’un statut d’artiste, statut qui se détache donc, avec superbe et en la matière, d’une simple production radiophonique, et n’a plus rien à voir avec le fait d’exercer un métier, d’avoir dans la société une place assignée, avec une fonction claire.
En revanche, le ressentiment à l’égard de l’artiste est tout à fait clair, s’accompagne d’une odeur, d’un climat qui ne trompe pas — quand on connaît intimement les rouages d’un tel processus. Or, tout homme qui n’a pas eu justement le courage d’une telle vocation s’emploiera à la nier, du haut de toute son ignorance et souvent avec une certaine méchanceté. C’est la rage égalitaire dressée contre le mystère élitiste — élitiste par défaut. A partir de ce postulat, les protestations sont primaires : Pourquoi ne sait-il pas s’arrêter ? Pourquoi ne laisse-t-il pas place aux autres ? Pourquoi travailler encore ? Et quel était son salaire ? Et il se croit indélogeable ? Et il se croit propriétaire ? Et pourquoi ne s’est-il pas engagé ? Et pourquoi n’a-t-il pas su infléchir sa femme à tel et tel moment ? Mais José va plus loin, en disant que s’il se fait virer, c’est un juste retour de son désengagement. Comme si l’artiste devait nécessairement être engagé. Eh bien non, il arrive qu’il ne le puisse pas ou ne le veuille pas. C’est déjà bien assez de proposer et d’opposer une œuvre à l’anarchie du monde, on ne peut pas être tous des René Char ou des Benjamin Péret.
Mais de toutes façons, avant même que ces questions se posent, la majorité des intervenants ne voient pas les années-lumière qui séparent l’émission d’Alain Veinstein de toute autre proposition relevant du même support. Du moins, ils le pressentent juste assez soit pour fabriquer de la bile, soit pour le nier tout à fait. Or, c’est précisément cette distinction positive (l’inouï d’une proposition radiophonique) qui me fait écrire et batailler dans le vide. Car on ne sait pas qui je suis mais si on pouvait le savoir on trouverait mon intervention aussi impossiblement bizarre que si quelque Antonin Artaud postulait comme cadre chez Loréal ou se mettait à gratter des Bingo pour se payer une télé.
En clair, le travail de Veinstein est si profondément lié à la littérature et à la poésie, c’est-à-dire de bout en bout et sous le signe d’une rare perfection formelle que cela me force à sortir de mon trou, pour des réactions « à chaud » dont j’ai en principe horreur — surtout quand il faut en plus mouliner pour répondre à des nigauds, pour lesquels la forme n’est qu’une enveloppe — ou une question de second ordre. Tandis que, bien entendu, nous autres savons depuis longtemps qu’elle est tout — obéissant elle-même à une dialectique des plus complexes, qui l’invalide à son tour, etc, etc. Mais à quoi bon s’échiner pour un public qui met sur un même plan Yves Duteil et Stéphane Mallarmé ? — et pour le coup probablement incapable de profiter pleinement et de l’un, et de l’autre.
Quant à l’émission censurée, on y apprend surtout qu’Alain Veinstein n’a jamais eu l’intention de mettre fin à ses entretiens. Faut-il expliquer pour les bébés et les esprits malveillants qu’il en a eu mille fois la tentation « pour lui-même », de soi à soi ? Je ne sais pas, gageons que c’est inutile. En tous cas, l’hypocrisie de la direction éclate pour de bon, le doute est levé. Hypocrisie, voire mensonge pur et dur, doublé d’un nouvel affront : l’absence de motif valable à l’éviction de ce programme. On découvre aussi la soudaineté de l’exécution : le crime par voie électronique, le cadavre enfoncé dans la tartine de confiture. C’est du Agatha Christie ? Et quoi, après vingt-neuf ans de service, comme il s’en étonne lui-même, pourquoi ne pas lui laisser plus de temps, pour apprendre à se retirer et surtout, répartir tant bien que mal le choc de l’échéance ? En ce qui me concerne je me serais insurgé avec la même conviction, sauf que là, même l’élégance est absente — à supposer qu’elle change quoi que ce soit à l’affaire. Disons qu’un bon bourreau se doit d’avoir de bons outils, même si cela ne réduit pas la peine.
De toute façon, puisqu'il n’entendait pas mettre un terme à son émission, il eut été bon d’avoir au moins de vraies raisons, des motifs développés justifiant cette décision, par exemple une critique de fond, surtout à l’endroit d’une proposition complètement unique, à ma connaissance sans équivalent. C’est exactement comme si un éditeur disait à un auteur : — écoute, tu as publié une quarantaine de livres, il est temps pour toi de passer à autre chose. Il ne dit pas — écoute, je trouve que tu te répètes, ou encore : je ne peux soutenir tes nouvelles positions. Non non, il dirait justement RIEN, rien que l’on puisse seulement comprendre. Est-ce seulement imaginable ?
De la même façon, on dirait à Brian Eno, à David Bowie, à Genesis P. Orridge, à Robert Fripp, à Peter Hammill, à Robert Ashley, à Scott Walker : — écoutez les gars, vous avez fait assez de disques, vous avez fait beaucoup de concerts, il est temps de penser à vous reposer, place aux jeunes, il n’y a plus de place dans les ordinateurs, dans les bacs à disques et dans les consciences, plus de désir à votre endroit, stoppez tout, vous avez passé l’âge de la création. Ce truc-là, cette folle idée mais ça n’existe même pas, on le comprend aisément, c’est juste monstrueux, c’est carrément décadent. C’est un peu : - tiens, si je me retirais un poumon pour voir ce que ça fait ? Si j’essayais de le remplacer par une boîte à chaussures — juste pour voir ? Et si je décidais de suicider une des meilleures émissions-radio que la France ait jamais proposée ? Ce ne serait pas le genre d’idées qu’ont précisément ce qu’on appelle les « créatifs » ? Le genre de nigauds qui travaillent dans la Com et finissent parfois avec des « responsabilités prestigieuses » — alliant probablement leurs superbes idées à certaines « qualités humaines » dont un milligramme ferait certainement mourir sur le champ le plus modeste des poètes.
Ah, il y a aussi la fameuse grille, comme si cette grille n’était pas elle-aussi une fiction — et une chance. Alors franchement, en radio, la grille, comme la charte, il serait bon de penser un jour à en faire quelque chose. Comme si l’on manquait de place ou même de financement — dans un pays dont même les poubelles regorgent de richesses et d’argent gâché — de travail gâché, de temps gâché, de culture flouée. On ne voudrait plus mettre un sou pour la nuit ? Que veut-on au juste ? Favoriser les grands groupes de presse et les grands éditeurs ? Pourquoi ne pas tout de suite fermer les écoles ? Car si l’émission d’Alain Veinstein n’arrivait pas dans les premières lignes en matière d’entrée en littérature et défense de la littérature, alors je suis devenu fou.
Un problème avec l’autorité ? Justement non. Car l’autorité est du côté du talent, non de ceux qui en vivent avec sur lui droit de vie et de mort. C’est toute la différence entre pouvoir et autorité. Pardon d’y revenir, mais je reste confondu par la dose de bêtise et de méchanceté à l’égard des anciens, quand le flot d’ordures internet vient résonner étrangement avec ce qui se passe en haut lieu, dans un cénacle prétendument « cultivé ». Cela me semble encore plus bizarre dans un pays où l’art est non seulement devenu à la mode, mais presque un paradigme, un modèle de vie où finalement viennent se bousculer toutes les confusions, les rivalités hypocrites et les désirs inassouvis, exacerbés de toutes parts. D’instinct — car il fait bien trop chaud pour penser — je dirais qu’on ne sait plus quoi faire avec les maîtres. Trop orgueilleux, trop frustrés, trop distraits, trop pressés pour y faire complètement allégeance, pas assez gangrenés, pas assez abrutis pour les envoyer au néant sans scrupules, en tous cas sans tartuferie — ce recours attestant, réjouissons-nous, d’une attitude qui penche encore du côté de la civilisation. Le chronomètre pour les poissons, voilà qui en dit long sur les vanités.
Petits et grand auteurs, relégués au fond de la Seine, c’est exactement cela. Ou comme a dit Adieu Maldonne dans son billet, on arrache d’un coup l’identité d’une vie, la pellicule impressionnée de son boitier d’ombre. Ah, la grosse main parfumée capable d’un tel geste, l’histoire la retiendra aussi, si tant est que nous ne soyons pas assez crétins pour menacer cette histoire elle-même… à grand renfort de mauvaises décisions.
Voyez la tour Eiffel, pourquoi ne pas la démonter aussi ? N’a-t-elle pas fait son temps ? Était-elle prévue pour durer ? Ah mais voilà, il n’y a pas de porte-clefs « Du Jour au Lendemain » et au Japon on ne se dit pas « la France, le pays des vraies émissions littéraires ».
Au départ je n’avais rien voulu savoir sur l’auteur de la décision, craignant de ma part un emballement thermique, suivi d’une logorrhée peu amicale, déshonorante pour tous. Aujourd’hui, je découvre avec étonnement que je n’ai pas affaire à un personnage forcément épais mais à quelqu’un qui donne dans les René Daumal, les Kierkegaard et compagnie. Pour le coup, me voici complètement perdu. Que s’est-il réellement passé ? Je suppose que ce n’est pas M. Poivre d’Arvor tout seul qui prend les décisions, si ? N’y a-t-il pas eu quelque chose comme une réunion, un vote, je ne sais pas ? Une pression quelconque ? Car au fond, la seule raison explicable, pour l’instant, c’est l’argent ? Ou quelque chose d’autre m’aurait échappé ?
On applaudit vivement l'artiste, c'est très beau, c'est trop beau ! Et on en redemande encore car c'est beau comme l'antique!
RépondreSupprimerAllez, José, allez troller ailleurs, voulez-vous ?
RépondreSupprimerMais redemandez-en tant que vous voulez, car question antique vous ne semblez pas trop à la hauteur (sans parler d'Homère ou d'Hésiode, Plutarque ne vous parle guère, dirait-on…)
Bon vent, et mes meilleurs vœux à vous.
Mon cher GWFW, je vous laisse bien volontiers tourner en rond dans une nouvelle nuit et en tête-à-tête avec Viederland…
RépondreSupprimerMes hommages à Madame.
Figurez-vous que je préfère les tête-à-tête aux tête-à-queue.
RépondreSupprimerEt bonjour à Monsieur Lafée !
Tête-à-tête, tête-à-queue ? mon cher GWFW, il semble que vous ayez un peu trop la bite près du bonnet.
RépondreSupprimerDécontractez-vous !
Des cons, tractez-vous aussi, cher José !
RépondreSupprimerC'est ce que je fais, mon cher GWFW, puisque je vous quitte !
RépondreSupprimerJosé pas vous le propjoser...
RépondreSupprimerDès qu'on tracte ("Hé, vous !"), y'a toujours risque d'embrouille -- comme le savent tous les militants !
Voici une analyse qui tente au moins d'expliquer ce qui arrive :
RépondreSupprimerhttp://leplus.nouvelobs.com/contribution/1223589-du-jour-au-lendemain-l-emission-d-alain-veinstein-sacrifiee-sur-l-autel-de-la-promo.html
Merci pour ce lien, Fred : analyse très pertinente, en effet.
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