Vous pourrez réfléchir longtemps sur le rôle de l’art dans la société, gloser indéfiniment sur l’engagement des artistes dans le champ de la critique sociale, vous interroger sur les moyens à leur disposition pour faire basculer une lutte radicale et violente du côté sensible, émouvant et drôle de la vie. Vraiment je crois que c’est intéressant de le faire. Utile aussi, surtout quand vous vous retrouverez en pleine nuit à garder la barricade est de Notre-Dame-des-Landes par exemple, tandis que les compagnons sur le confort desquels vous veillerez en alimentant le feu qui les empêche de mourir de froid seront endormis : il faut bien passer le temps. Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé, moi oui.
Cependant, quand à 8 heures du matin les flics attaqueront, puis reculeront, puis chargeront à nouveau, que les grenades de toutes natures pleuvront, que l’air deviendra opaque, suffoquant, que les frondes, pierres et cocktails Molotov des copains entreront en action, que devant la disproportion des forces qui vous feront face vous serez contraints d’abandonner votre position en mettant le feu à la barricade, ce qui vous laissera le temps de rejoindre les camarades qui en érigent une nouvelle un peu plus loin, que vous effectuerez diverses opérations de harcèlement des bleus afin de retarder leur progression, que vous aurez combattu au Sabot, à l’est au centre, dans les champs, les routes, la forêt, et que vous vous retrouverez sur la barricade nord, la plus belle, la plus héroïque, à voir des copains blessés qui tomberont, atteints dans les jambes ou le bas-ventre par des tirs tendus de capsules de gaz lacrymogène, votre cœur s’emplira de rage et vos mains de pierres ; à ce moment l’aspect esthétique de la réalité sera passé au second plan : vous vous rendrez compte que vous avez choisi de faire la guerre.
Et ça vous rendra tristes. Comme moi.
Quand, abattus, épuisés, vous vous éloignerez de la zone d’affrontements pour vous rendre à la Vache Rit souffler un peu, avaler une boisson chaude, partager en trois phrases votre expérience avec une camarade qui vous demande si ça va, vous serez à deux doigts de pleurer. Comme moi.
Et puis quand vous remonterez au front et sentirez que vous n’êtes plus en capacité de faire quoi que ce soit d’utile, alors vous rentrerez chez vous prendre un bain moussant de chez Crabtree & Evelyn, dormir aussi, et vous enivrer avec des copains, plus tard, en mangeant des gambas et du pâté, le cul au chaud devant un match de foot à la télé ; à la suite de quoi vous oublierez l’existence l’espace d’une nuit, avant de vous réveiller fourbus, hagards mais contents d’être en vie, vous interrogeant au moment du café sur votre rôle dans l’avenir de la société pour vous qui êtes artiste, étudiant, paysan, chômeur, commerçant, salarié…
Vous vous rendrez compte alors, en ramassant les miettes de votre petit-déjeuner qu'un élément de réponse se trouve peut-être à Notre-Dame-des-Landes, sur la ZAD, la Zone A Défendre ; rien d’autre à faire finalement que vous y diriger une fois encore, quand vos forces seront recouvrées, car à quoi pourrait bien ressembler un car de flics incendié au milieu du bocage ? C’est cette question, fondamentale, d’ordre éminemment esthétique qui vous taraudera : on ne sait jamais, ça fait peut-être joli dans le paysage ? Rien que pour le savoir, vous y retournerez.
Comme moi.
Cependant, quand à 8 heures du matin les flics attaqueront, puis reculeront, puis chargeront à nouveau, que les grenades de toutes natures pleuvront, que l’air deviendra opaque, suffoquant, que les frondes, pierres et cocktails Molotov des copains entreront en action, que devant la disproportion des forces qui vous feront face vous serez contraints d’abandonner votre position en mettant le feu à la barricade, ce qui vous laissera le temps de rejoindre les camarades qui en érigent une nouvelle un peu plus loin, que vous effectuerez diverses opérations de harcèlement des bleus afin de retarder leur progression, que vous aurez combattu au Sabot, à l’est au centre, dans les champs, les routes, la forêt, et que vous vous retrouverez sur la barricade nord, la plus belle, la plus héroïque, à voir des copains blessés qui tomberont, atteints dans les jambes ou le bas-ventre par des tirs tendus de capsules de gaz lacrymogène, votre cœur s’emplira de rage et vos mains de pierres ; à ce moment l’aspect esthétique de la réalité sera passé au second plan : vous vous rendrez compte que vous avez choisi de faire la guerre.
Et ça vous rendra tristes. Comme moi.
Quand, abattus, épuisés, vous vous éloignerez de la zone d’affrontements pour vous rendre à la Vache Rit souffler un peu, avaler une boisson chaude, partager en trois phrases votre expérience avec une camarade qui vous demande si ça va, vous serez à deux doigts de pleurer. Comme moi.
Et puis quand vous remonterez au front et sentirez que vous n’êtes plus en capacité de faire quoi que ce soit d’utile, alors vous rentrerez chez vous prendre un bain moussant de chez Crabtree & Evelyn, dormir aussi, et vous enivrer avec des copains, plus tard, en mangeant des gambas et du pâté, le cul au chaud devant un match de foot à la télé ; à la suite de quoi vous oublierez l’existence l’espace d’une nuit, avant de vous réveiller fourbus, hagards mais contents d’être en vie, vous interrogeant au moment du café sur votre rôle dans l’avenir de la société pour vous qui êtes artiste, étudiant, paysan, chômeur, commerçant, salarié…
Vous vous rendrez compte alors, en ramassant les miettes de votre petit-déjeuner qu'un élément de réponse se trouve peut-être à Notre-Dame-des-Landes, sur la ZAD, la Zone A Défendre ; rien d’autre à faire finalement que vous y diriger une fois encore, quand vos forces seront recouvrées, car à quoi pourrait bien ressembler un car de flics incendié au milieu du bocage ? C’est cette question, fondamentale, d’ordre éminemment esthétique qui vous taraudera : on ne sait jamais, ça fait peut-être joli dans le paysage ? Rien que pour le savoir, vous y retournerez.
Comme moi.
Stéphane Cattaneo
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