Les Écossais ne peuvent pas s’empêcher d’inventer des trucs.
Laissez-en un sur une île déserte dotée d’un unique palmier, et à la fin de la semaine, il aura construit un pédalo, utilisant jusqu’aux noix de coco évidées en guise d’hélice. Peut-être est-ce dû au fait que l’Écosse est un endroit qui donne tellement le cafard que le besoin d’améliorer son quotidien y est absolument impératif. Citez-moi une fichue invention en provenance des Caraïbes ! Alors que l’Écosse… Y’a qu’à demander. Et Ross* se faisait toujours un plaisir de répondre, en particulier si l’un de ses collègues ou une simple connaissance commettait la catastrophique erreur de montrer un quelconque dédain quant à l’influence de son pays sur le monde moderne.
« Pourquoi ne pas me joindre ce soir par téléphone ? dirait-il à l’infortuné offenseur. Inventé par Graham Bell d’Edimbourg. Il y a des chances pour que vous me trouviez occupé à regarder la télévision, inventée par John Logie Baird d’Helensbourg ; je vous dirais donc d’aller voir plus loin si j’y suis — sur un vélo inventé par Kirkpatrick Macmillan du Dumfriesshire. Vous avez des pneus gonflables en caoutchouc sur ce vélo ? Remerciez John Boyd Dunlop, de Dreghorn. Et vous roulerez sur une surface inventée par John ‘Tar’Macadam de la ville d’Ayr. Qu’y a-t-il ? Vous êtes tombé et vous vous êtes cassé la jambe ? Ne vous inquiétez pas, nous allons arranger ça… sous anesthésie générale, technique dont l’un des pionniers fut James Young Simpson, de Bathgate. Et ne vous souciez pas des infections, car les instruments seront nettoyés avec un antiseptique inventé par Joseph Lister, de Glasgow, et nous utiliserons des antibiotiques dérivés de la pénicilline, découverte par… ah, comment s’appelle-t-il, déjà ? »
Il pouvait citer en vrac les fours à micro-ondes, les timbres adhésifs, les brebis clonées, la virgule de fraction décimale, la bakélite, les ponts en fer, les logarithmes, la photographie couleur, l’insuline, la technique de prise d’empreintes digitales, le radar, l’échographie, la paraffine et les tuyaux d’évacuation des eaux — ces deux dernières inventions venant soutenir sa théorie d’une corrélation entre créativité et climat. Sur le plan des théories plus abstraites, il y avait la chimie colloïde, les sciences de la Terre, le mouvement brownien, les liens moléculaires, la thermodynamique et, récemment mises à l’honneur, les équations électromagnétiques de Clark Maxwell l’« hurluberlu ».
Tout ne justifiait pas qu’on la ramène, d’ailleurs. On ne pouvait pas imputer le phénomène MacDo à Adam Smith, mais ce dernier, en tant que père du capitalisme moderne, n’avait pas non plus un alibi en béton. Les Écossais pouvaient également être mis au banc des accusés pour l’invention malencontreuse de la Banque d’Angleterre, de la Marine américaine et des assurances automobiles.
Il y avait aussi le capitaine Patrick Ferguson. En 1776, il avait inventé un fusil que l’on pouvait charger au niveau de la culasse et non du canon, remplaçant avantageusement l’ancienne méthode, lente et malaisée, du refouloir qui limitait le soldat à trois coups par minute et nécessitait un tir debout. Le fusil du capitaine Ferguson doubla cette cadence de feu et rendit possibles moult postures de tir. Puis en 1809, le révérend Alexander Forsyth inventa la poudre explosive, qui rendit obsolète le fusil à silex et sa tendance à prendre l’humidité, au profit d’un chien fonctionnant par tous les temps.
Après quoi nous fûmes tous en mesure de nous entretuer beaucoup plus efficacement.
Ross avait toujours estimé qu’il y avait quelque chose de laid et de grossier dans les armes : dans leur conception, leur apparence et surtout leur but. C’étaient des machines destinées à faire pénétrer des projectiles dans de la chair vivante. Rien de plus. Et ce principe n’avait pas changé d’un pouce depuis l’invention du premier mousquet. La vélocité du projectile ne cessait d’augmenter, la précision du tir ne cessait de s’améliorer, la cadence de feu ne cessait de s’accélérer (Merci, monsieur Gatling. Bon boulot, monsieur Thompson !), mais chaque nouvelle arme n’était qu’un moyen plus sophistiqué d’exécuter cette même action laide et grossière : faire pénétrer des projectiles dans de la chair vivante. Multi-usages et tous azimuts ! Vous avez un problème ? Nous avons la solution ! Soldats, besoin d’abattre votre ennemi ? Faites pénétrer un projectile dans sa chair. Policiers, besoin de maîtriser un suspect ? Idem. Toi là-bas, le gosse du ghetto, t’es paumé ? Tu sais plus où t’en es ? Tu veux venger un affront et retrouver ta place parmi les tiens ? Devine quoi ! Mais oui, ça y est, on commence à piger…
Bang bang bang bang bang bang bang.
Putain.
C’est tellement facile. Tellement débile. Tellement indélébile.
Les armes ont mis le meurtre à portée de mains, à une distance confortable, et le rendent mortellement simple.
Pour tuer quelqu’un à mains nues, ou avec un instrument contondant, même avec un couteau, il faut vraiment le vouloir, parce qu’il va falloir lutter pour y arriver. Avec une arme à feu, l’effort et l’action équivalent à actionner un interrupteur. Pas besoin de le vouloir vraiment, ni vraiment longtemps. Il suffit de le vouloir un instant et c’est fait — et c’est définitif.
Christopher Brookmyre, Faites vos jeux ! (All Fun and Games until Somebody loses an Eye, 2005), traduit de l'anglais (Écosse) par Emmanuelle Hardy-Seguin, Éditions de l'Aube, 2007, rééd. coll. « l'Aube poche », 2008, pp. 334-337
* [NDGWFW] : Ce personnage s’appelle Ross Fleming, d’où un peu plus loin le semblant d’oubli à propos du patronyme de l’inventeur de la pénicilline (comme le souligne en note la traductrice p. 335).
Oh, juste un mot à propos du titre de ce roman et de sa traduction.
Il s'agit d'une référence à la phrase qui donnait à Rome le coup d'envoi des jeux du cirque, lors des combats de gladiateurs : tous les coups étaient permis, sauf l'énucléation de l'adversaire.
L'auteur ne manquera pas d'y faire référence — tant les circonstances qu'il a ourdies s'y prêteront — dans un roman ultérieur, A Snowball in Hell (qui, incidemment, remet en scène l'un des personnages secondaires de celui-ci, Marius Roth)…
Oh, juste un mot à propos du titre de ce roman et de sa traduction.
Il s'agit d'une référence à la phrase qui donnait à Rome le coup d'envoi des jeux du cirque, lors des combats de gladiateurs : tous les coups étaient permis, sauf l'énucléation de l'adversaire.
L'auteur ne manquera pas d'y faire référence — tant les circonstances qu'il a ourdies s'y prêteront — dans un roman ultérieur, A Snowball in Hell (qui, incidemment, remet en scène l'un des personnages secondaires de celui-ci, Marius Roth)…
Rhôôô, George, "une seule invention provenant des Caraïbes" ?
RépondreSupprimerJe sais pas moi, le reggae, les sound system, la ganja, les comptes off shore, la calypso, le vaudou....
Hé, ho, Jules, c'est pas moi qui l'ai écrit mais la chose se comprend un tantinet si l'on sait le goût de Brookmyre pour les charades à tiroirs !
RépondreSupprimerVoyons pour CARA :
Cara trafique du fer puisque caravansérail
Or un sérail, c'est un harem
Donc Cara vend à Rem, et remédiable : Cara vend à Satan
Ah, ça t'en bouche un coin ! Donc "à Satan" bourre, et Cara vend tôt
Mais un car à venteaux, c'est rare, et rarement
Et comment !
Donc non seulement Cara bosse mais Cara = Éco
Et maintenant pour IBE :
Ibérique
Mais ric-et rac
Racketté
T.C.C.
Donc ibe est sais et puisque Cara = Éco,
CARAÏBES = ÉCOSSAIS !
CQFD
Doliprane !
RépondreSupprimerJ'aime que l'aspect gicle…
RépondreSupprimerBesides, Ten C.C. nous ramène à Brookmyre, puisqu'il écrit ceci dans A tale etched in Blood and Hard Black Pencil (p. 215) :
RépondreSupprimer'You don't have a clue', says Aldo, still giving his wrist a steady-paced workout. 'Yous aw think it's gaunny shootin across the room like a fireman's hose or hit the ceilin or somethin. Shows you don't have spunk or you'd know. It's no like pish. Just a wee dribble compared tae pish.'
'Te CC,' says Craig.
'Whit ?'
'That's how much. That's why that band's called Ten CC. It's the amount of spunk that comes oot'.
'Is that right ?' Aldo asks, fair tickled by it.
'Aye, I read about it. Ther was a band called the Lovin'Spoonful, too — that's what that meant as well.'
Ok. Je me rends.
RépondreSupprimerC'est pas possib' d'écrire avec un tel accent écossais.
Bah oui, mais c'est vachement plus simple à lire !
RépondreSupprimerTiens, un groupe écossais qui chante un certain mister CC.
RépondreSupprimerÉvidemment c'est du play-back (top of the pops) mais Au Bonheur des Dames avaient de la conccurence.
Tiens ? Les liens des blogues sont revenus...
RépondreSupprimerOuaipe, tu sais quoi? Je me suis finalement souvenu de ce truc fort pratique qu'est le cache de Gogol.
RépondreSupprimerDu coup, il m'a suffit de procéder à de fastidieux copier-coller à partir d'une page pas encore mise à jour par les pattes de Gogol, par exemple celle-ci...
Et au fait, Jules, merci pour les Revillos !
RépondreSupprimerDe rien.
RépondreSupprimerQu'ils aient été Rezillos ou Revillos, un chouette groupe de déconneurs mais qui valaient mieux que de la parodie : ils savaient torcher une chanson.