… C’est surtout en effet quand elle se conforme au commandement de la raison que la Cité est maîtresse d’elle-même. Lors donc qu’elle agit contrairement à la raison, et dans la mesure où elle le fait, elle se manque à elle-même et on peut dire qu’elle pèche. Cela se connaîtra plus clairement si l’on considère qu’en disant que chacun peut statuer sur une affaire qui est de son ressort et décider comme il le veut, ce pouvoir que nous avons en vue doit se mesurer non seulement par la puissance de l’agent, mais aussi par les facilités qu’offre le patient. Si par exemple je dis que j’ai le droit de faire de cette table ce que je voudrai, je n’entends certes point par là que cette table mange de l’herbe. De même aussi, bien que nous disions que les hommes dépendent non d’eux-mêmes mais de la Cité, nous n’entendrons point par là que les hommes puissent perdre leur nature humaine et en revêtir une autre. Nous n’entendons point par suite que la Cité ait le droit de faire que les hommes aient des ailes pour voler, ou, ce qui est tout aussi impossible, qu’ils considèrent avec respect ce qui excite le rire ou le dégoût ; nous entendons qu’alors que, certaines conditions étant données, la Cité inspire aux sujets crainte et respect, si ces mêmes conditions cessent d’être données, il n’y a plus crainte ni respect, de sorte que la Cité elle-même cesse d’exister. Donc la Cité, pour rester maîtresse d’elle-même, est tenue de maintenir les causes de crainte et de respect, sans quoi elle n’est plus une Cité. À celui ou à ceux qui détiennent le pouvoir public, il est donc également impossible de se produire en état d’ébriété ou de nudité avec des prostituées, de faire l’histrion, de violer ou de mépriser ouvertement les lois établies par eux-mêmes, et tout en agissant ainsi, de conserver leur majesté ; cela leur est tout aussi impossible que d’être et en même temps de ne pas être. Mettre à mort les sujets, les dépouiller, user de violence contre les vierges, et autres choses semblables, c’est changer la crainte en indignation, et conséquemment l’état civil en état de guerre.
Spinoza, Traité politique, ch. IV, § 4, tr. Charles Appuhn
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