… Paris Restera, quoi qu'il advienne, La capital' souveraine La seul', l'unique et la reine Par le cœur et par l'esprit… entend-on dans cette chanson de 1977 écrite par Jean-Roger Caussimon, mise en musique par Philippe Sarde et interprétée au générique du film de Tavernier par Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle (qui ne jouent pas dans le film). Il n'aura pas fallu plus de deux décennies pour ruiner complètement cette assertion, qui sonnait déjà plutôt comme une prière à la date de sortie du film, vu l'état de la capitale après les ravages pompidolo-giscardiens. Mais à la réflexion, non, pas une prière : un glas cynique et amer. Les couplets semblent des antiphrases, comme en témoigne ce passage, écrit après la création des voies sur berges : Et la Seine, enfin, leur donne L'attrait de ses quais fleuris…
Boustrophédon, apophtegme & antanaclase
Il y a 1 jour
Et l'enfant, soudain me dit "Monsieur,
RépondreSupprimerMais qu'avait-il de mieux
Ton Paris d'autrefois?"
"Mais qu'avait-il de mieux?
Mon enfant je ne sais pas
Peut-être ici où là,
Simplement du lilas."
"Du lilas, du lilas?
Qu'est-ce que c'est, du lilas?"
§ Un souvenir: il y a une quinzaine d'années, Rochefort (ou était-ce Marielle? je crois bien que c'était Rochefort) est invité sur France Inter dans une émission de Pierre Bouteiller. Lequel diffuse cette chanson, qu'il adore. Et demande à Rochefort si ç'a été difficile à faire. "Non, pas particulièrement" (verbatim)… Nos deux compères se sont pointés un matin au studio, ils ont répété un peu, ont fait deux prises, et c'était dans la boîte. Ah, quel dommage qu'ils n'aient pas poursuivi dans cette voie; et en même temps, ne laisser qu'une chanson, mais celle-là, quel coup de maître(s)!
RépondreSupprimer§ Un regret: n'avoir jamais vu le film; il n'est disponible que dans le coffret Tavernier de 9 DVD, à titre de supplément (c'est le seul film qui n'est pas disponible séparément). Je crois savoir, cependant, que la chanson se déroule pendant le générique de début sur des images du nouveau Paris d'alors (buildings d'acier et de verre, etc.). Ce décalage confirmerait votre analyse: "un glas cynique et amer".
§ Un conseil de lecture: Louis Chevalier, L'Assassinat de Paris, Calmann-Lévy, 1977, réédition Ivréa, 1997.
§ Un bonus: sur le CD regroupant les musiques de Sarde Le cinéma de Bertrand Tavernier, on trouve une version instrumentale de la chanson, sur un tempo plus lent, avec John Surman et Johnny Griffin aux saxs soprano et ténor; toute sa mélancolie latente devient alors sensible.
Bien vu, Filegoude. Très jolies paroles de Jean Dréjac, pour cet enfant ébloui de 1980 que je ne connaissais pas, mais Montand, j'ai souvent du mal. Je m'aperçois d'ailleurs que je n'ai jamais écouté entièrement cet album, Montand d'hier et d'aujourd'hui, que j'ai pourtant dans mas discothèque, tant le cabotin m'insupporte. Dommage que ce n'ait pas été interprété par Marc Ogeret, par exemple.
RépondreSupprimerAnonyme, merci pour le souvenir : votre mémoire est diabolique, pour vous rappeler ainsi des propos tenus voici quinze ans à la radio ! Était-ce Le masque et la plume ? Dans le livre de souvenirs de Caussimon dont nous parlions l'autre jour, La double vie, paru au Castor Astral en 2003 (et qui m'a permis de découvrir cette merveille de chanson), il y a deux anecdotes au sujet de cet enregistrement : l'une rapportée par Tavernier (qui précise avoir déjà fait chanter Rochefort dans un film antérieur — désolé, je n'ai présentement pas l'ouvrage sous la main), l'autre par Caussimon. Tavernier parle de deux prises, Caussimon de trois.
Moi non, plus je n'ai jamais vu le film. J'ai passé hier un certain temps à en chercher une trace sur le Ouèbe, en vain. Si le générique est tel que vous le décrivez (ce qui est probable, vu le sujet du film), le second degré devient patent. J'imagine une vue de l'actuelle place des Fêtes au moment où Rochefort chante ses louanges…
Au Chevalier, qui était un livre de chevet de Debord, il faut adjoindre le livre de Jacques Yonnet, Rue des Maléfices, actuellement en semi-poche Libretto chez Phébus.
Enfin, merci pour vos précisions sur la version instrumentale : j'ignorais que des musiciens ausii prestigieux que Surman et Griffin avaient collaboré avec Philippe Sarde.
Si mes livres étaient rangés autrement qu'en empilements aussi précaires qu'aléatoires, dispersés en trois ou quatre lieux, je ne classerais pas Rue des Maléfices à côté de l'essai de Chevalier, certes instructif, mais dépourvu de toute dimension littéraire. Ce livre de Jacques Yonnet (dont je préfère le titre original, Enchantements sur Paris, et si possible l'édition toilée de 1957 chez Denoël) appartient pour moi à un trio de livres s'appliquant à transfigurer poétiquement le Paris populaire des années 50: les deux autres étant Paris insolite, de Jean-Paul Clébert (Denoël, 1952, mais là je préfère une édition "club" de 1954 illustrée de superbes photos de Patrice Molinard, en hélio) et Le Vin des rues de Robert Giraud (Denoël, 1955), dont l'ex-colonel a salué une récente réédition, si je me souviens bien. Parions que Debord et ses amis avaient lu ces trois livres. Et tirons notre chapeau au directeur littéraire de Denoël qui les a publiés tous les trois en l'espace de cinq ans (qui était-il? Voilà ce qu'il faudrait savoir. Peut-être cette information figure-t-elle dans la récente biographie de Bob Giraud?)
RépondreSupprimerIdéalement, ces trois livres prendraient place dans un rayon où figureraient aussi Louis Sébastien Mercier, Restif de la Bretonne, et Nerval, bien sûr…
Ah, bien sûr que Montand est souvent insupportable, mais il y a de belles choses à glaner dans ses disques, quand même -- je pense en particulier à ce poème de Victor Hugo (en réalité, un montage de strophes d'un très long poème) mis en musique par Colette Magny.
RépondreSupprimerEt connaissez-vous ceci -- Montand cabotine à mort, hélas, mais le texte de David McNeil a tout pour vous plaire?…
A propos d'Ogeret: il a enregistré, à la fin des années 60, Paris ma rose d'Henri Gougaud (en plein dans le sujet de ce billet), avec une strophe qui ne figure ni dans la version de Gougaud lui-même, ni dans celle de Reggiani. Sauriez-vous si cela a été réédité en CD?
Tonnerre, comme vous dites, j'ai l'impression que les liens du commentaire précédent ne fonctionnent pas. Le problème semble venir de musicMe: quand je colle directement dans la barre d'adresse le permalien fourni par le site pour ces deux chansons, ça ne marche pas non plus… Bah, si vous voulez accéder à ces deux chansons, tapez "Montand Tuileries" et "Montand Louisa" dans le moteur de recherches de musicMe.
RépondreSupprimerSi je disposais plus de temps et si j'étais un peu plus soigneux et minutieux, j'aurais écrit à peu près la même chose que ce que vous dites si bien à 18h 42. Sauf pour le Giraud, que je n'ai pas lu et que je suis à peu près certain de ne pas avoir (et dont l'ex-colonel a effectivement naguère a salué la réédition au Dilettante).
RépondreSupprimerSi mes bibliothèques n'étaient pas aussi dispersées que les vôtres, c'est avec certitude que je pourrais affirmer détenir aussi les premières éditions du Clébert (hélas, pas celle du Club du meilleur livre de 1954) et du Yonnet (hélas, à la couverture salement défraîchie, me semble-t-il), toutes deux sous couverture grise avec au centre un ovale blanc sur lequel se détache le titre.
Mais dans mes rayonnages je n'ai actuellement que les rééditions en Livre de Poche et en Folio du Clébert, et l'édition Phébus du Yonnet (vous avez raison, pour le titre, et je me demande la raison de cette malheureuse transformation).
Quant au directeur littéraire de chez Denoël, je vais me renseigner. Je ne crois pas que Nadeau y prodiguait déjà ses conseils avertis (encore que…), mais je me souviens que Queneau y avait de l'influence : c'est me semble-t-il grâce à lui que le roman de Maurice Raphaël, Feu et flammes avait été édité dans la collection, sous semblable couverture. Queneau avait peu avant publié une nouvelle de M. Raphaël dans l'anthologie qu'il avait réunie aux éditions J.A.R. (Jeunes Auteurs Contemporains), que je dois également avoir quelque part.
Enfin, n'oublions pas le Guide du Paris mystérieux, chez Tchou, auquel collabora, outre François Caradec et Noël Arnaud, Jean-Louis Brau, compagnon de route des situs et auteur de la première étude d'importance sur l'IS (Le situationnisme ou la nouvelle Internationale, si mes souvenirs sont bons — je l'ai aperçu chez un bouquiniste du cours Julien, à Marseille, début juillet).
Ah non, Ouiqui me rétorque que l'auteur en est Éliane Brau — son épouse, à ce qu'il me semble. Hum.
De Montand, je ne supporte guère que les Vieilles chansons de France, ou quelque chose d'approchant. Vous avez raison : les liens ne fonctionnent pas, alors que le titre du morceau s'affiche correctement dans la barre de… titre. Il semble qu'il y ait quelques beugues, chez MusicMe. Mais j'imagine que vous renvoyez à la chanson qu'à également (et splendidement) chantée Colette Magny sur l'album où l'on peut entendre Melocoton :
RépondreSupprimerNous sommes deux drôles
Aux larges épaules…
Tonnerre, moi qui ai passé je ne sais combien de temps à chercher dans la bibliographie de Victor Hugo un poème intitulé Les Tuileries, voilà que vous m'apprenez que la chanson est en fait un montage de textes !
Je ne connais quasiment rien aux Disques Compacts, ayant passé Montand, depuis leur crapuleuse apparition, à courir les brocantes pour racheter à très bas prix les vinyles que mon porte-monnaie d'adolescent m'interdisait d'acquérir. Je possède tant de disques de Marc Ogeret que j'ignore si j'ai cette chanson, Paris ma rose, quelque part. Je vais essayer de vérifier, bien que ma platine ne soit pas pourvue de sortie USB, mais dans l'intervalle, je file écouter vos liens.
Bon, je viens de trouver, je l'avais sous la main : c'est sur le LP Rencontres, chez Vogue, de 1972 (SLD. 839, SMS. 2808 30). Cinquième morceau de la face B.
RépondreSupprimerAh, suis-je bête, à propos des Tuileries…, vous pouvez venir l'écouter chez moi, aux heures d'ouverture.
Je suis en train de l'écouter, et il me semble que c'est en fait plusieurs strophes, qui ont disparu dans l'interprétation de Reggiani, dont ma cervelle sauce blanche me dit qu'elle s'intitule Paris ma belle. Bon, celui-là (c'est bien celui où il y a Quand j'aurais du vent dans mon crâne et Sarah, non ?) aussi, je dois l'avoir pas loin. Je vais vérifier.
RépondreSupprimerGougaud, ça alors ! Qui l'eût cru ?
Je possède les deux versions des Tuileries, celle de Montand et celle de Colette Magny, que j'aime aussi beaucoup. Et j'en connais même une troisième, très différente, par Jacques Douai. Voyons si le lienmarche, cette fois. Merci tout de même pour l'invitation!
RépondreSupprimerSauf erreur, il y a bel et bien un poème de Hugo qui s'intitule Les Tuileries, un peu long; Colette Magny a fait un travail de précision en sélectionnant quelques strophes, de telle façon qu'on jurerait que le texte est complet et d'une seule venue. La difficulté, pour le retrouver, c'est qu'il est inséré dans une autre œuvre, sans doute une pièce de théâtre (mais laquelle?). Je l'avais jadis localisé, me semble-t-il, grâce à la table des incipit de l'édition des Œuvres complètes de Hugo en 18 volumes, dirigée par Jean Massin au Club français du livre à la fin des années 60. Mais je ne l'ai malheureusement pas sous la main.
Merci aussi pour la référence de l'enregistrement de Paris ma rose par Ogeret; mais je n'ai plus d'électrophone depuis fort longtemps, je le cherche donc en CD. Ça n'a rien d'urgent: on peut l'écouter sur YouTube.
Pour Paris ma rose, la différence entre les versions se limite à ceci: dans la seconde strophe, "Où est passée Paris la grise", ces vers, chantés par Gougaud et par Reggiani
RépondreSupprimerOù sont-ils passés ceux qui fraternisent
Avec les murailles et les graffitis
Ces soleils de craie où sont-ils partis
Qui faisaient l'amour aux murs des églises
disparaissent de la version d'Ogeret, où ils sont remplacés par
Le vent d'aujourd'hui le vent des deux rives
Ne s'arrête plus au Marché aux Fleurs
Il s'en est allé le joyeux farceur
Emportant les cris des filles naïves
Est-ce Gougaud lui-même qui a récrit son texte, ou Ogeret qui a introduit cette variante (qui me paraît moins réussie que la version originale, à part qu'elle fait le lien avec "l'attrait de ses quais fleuris" dans Paris jadis et votre billet)? Mystère.
Et pourquoi "Gougaud! […] Qui l'eût cru"?
Je viens donc d'écouter successivement les versions d'Ogeret et de Reggiani de Paris ma rose (titre en fait identique chez Reggiani, sur le LP Polydor Canetti 48 819, au temps pour ma sauce blanche).
RépondreSupprimerIl n'y a pas de strophe supplémentaire, mais une variante de la quatrième, que Reggiani décline ainsi :
Où sont-ils passés, ceux qui fraternisent
Avec les murailles et les graffitis ?
Ces soleils de craie, où sont-ils partis,
Qui faisaient l'amour aux murs des églises ?
tandis qu'Ogeret chante cela :
Le vent d'aujourd'hui,
Le vent des deux rives,
Ne s'arrête plus au Marché-aux-Fleurs :
Il s'en est allé, le joyeux farceur,
Emportant les cris des filles naïves.
Hem, j'aperçois vos messages, chevauchements multiples, désolé : cela prend du temps, d'aller chercher ces vinyles, de les écouter, d'en retranscrire les paroles, et mon ordinateur se tenait durant tout ce laps respectueusement muet, j'ignore pourquoi (ou plutôt, je ne comprends que trop bien).
RépondreSupprimerLa version originale de Paris ma rose par Gougaud est totalement introuvable, ni sur deezer, ni sur musicMe, ni nulle part. En CD, à ma connaissance, elle n'a été rééditée qu'une seule fois, il y a plus de dix ans, dans une obscure compilation de chansons françaises de l'année 1964. Rien que pour vous, cher George, et pour les fidèles de ce blogue, ainsi que pour les amateurs de passage qui chercheront Gougaud sur gougueule, j'ai ouvert un compte sur divShare pour l'y télécharger, ici.
RépondreSupprimerCher Anonyme,
RépondreSupprimerVotre sollicitude est délicieuse.
Je ne puis présentement m'étendre sur nombre de passages de vos derniers commentaires, mais là je vous dois un aveu immédiat.
L'un de mes innombrables pseudonymes fut "Henri Gougaud" (mais mes talents de correcteur peuvent être pris en défaut : serait-ce çà alors ? non, je ne crois pas, mais voilà encore des vérification à effectuer…).
Lorsqu'en 1967, j'acceptai que Reggiani chante ce Paris ma rose aux accents pré-soixante-huitards, j'avais déjà en tête la version moins radicale du pourtant plus rouge Ogeret de 1972, que je n'ai consenti à délivrer qu'en songeant aux allusions qu'allaient plus tard y faire Tavernier, puis, longtemps après, ce fichu blogue.
Intéressante, votre transcription de cette variante que j'étais moi-même en train de transcrire. Je vois que vous comptez six strophes dans le poème, et moi trois. Je vois que l'anaphore vous fait dédoubler en deux pentasyllabes le premier décasyllabe de la variante Ogeret, et celui-là seulement. Je vois que vous ponctuez, et moi pas (peut-être parce que Reggiani, que j'ai écouté toute mon enfance, lit un extrait du Pont Mirabeau avant la chanson). Si j'avais ponctué, j'aurais plutôt transcrit ainsi la version originale:
RépondreSupprimerOù sont-ils passés, ceux qui fraternisent
Avec les murailles? et les grafittis,
Ces soleils de craie, où sont-ils partis,
Qui faisaient l'amour aux murs des églises?
Délicieuse incertitude syntaxique, quasi la même que lorsqu'on entend
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne…
Blague à part, merci, vraiment. J'ai téléchargé le morceau, et je ne savais pas du tout que Gougaud avait chanté.
RépondreSupprimerEt ce "Qui l'eût cru", c'était parce que jusqu'alors, je le tenais pour un simple assembleur de contes.
Nouveau chevauchement.
À la réflexion, c'est vous qui avez raison, pour la graphie : ce ne sont évidemment pas les scripteurs, mais bien les graffitis, ces soleils de craie, qui font l'amour aux murailles.
Mais pour Apollinaire, je ne sens aucune incertitude liée à la ponctuation. Jamais je n'ai entendu, d'une traite :
coule la Seine et nos amours
Mince, maintenant que vous le suggérez…
Non, impossible : le verbe ne s'accorde pas.
Je reprends vos liens, dont je m'étais un peu éloigné en revenant au pur réel.
RépondreSupprimerJacques Douai, je ne connaissais pas sa version des Tuileries, ni d"ailleurs du Bateau espagnol. Il m'avait surtout impressionné avec son Vieux roi Chou, avant de se faire expulser du Jardin d'Acclimatation.
Bon, Montand, j'irai voir demain.
Je précise ma pensée à propos des premiers vers du Pont Mirabeau. Si on lit le texte imprimé, bien sûr, aucune ambiguïté: "coule" est effectivement au singulier, on ne peut considérer que "La Seine et nos amours" en soit le double sujet. Encore que: dans la mémoire littéraire de la langue existe la possibilité de ce qu'on appelle l'accord du verbe par proximité, qui consiste, lorsqu'un verbe a plusieurs sujets, à l'accorder seulement avec celui qui est le plus proche dans la phrase. On trouve cela fréquemment dans les textes de la Renaissance et du XVIIe siècle, et dans la poésie médiévale: or justement Apollinaire ici écrit en se souvenant de Villon; le refrain "Les jours s'en vont je demeure" évoque irrésistiblement le vers célèbre où Maître François écrit du temps de sa jeunesse "Allé s'en est, et je demeure".
RépondreSupprimerMais ce qui me fait dire qu'Apollinaire, presque à coup sûr, a voulu qu'on ait une légère hésitation sur la construction de ces vers lorsqu'on les entend (comme je le précisais), c'est ceci. Regardez la structure prosodique du poème. En apparence, vous avez des strophes de 4 vers, de respectivement 10, 4, 6 et 10 syllabes. Dans ces strophes, les vers 1, 3 et 4 riment ensemble, et le vers 2… reste en l'air (j'allais écrire "ne rime à rien"). La conclusion s'impose d'elle-même: il faut réunir les vers 2 & 3 pour faire apparaître la vraie structure de la strophe, très simple: un tercet de décasyllabes portant la même rime.
Sous le Pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Ce serait beaucoup plus logique, non? Seulement voilà: Apollinaire a fragmenté le second vers. Pour quelle raison? Je n'en vois qu'une: pour obliger le lecteur à marquer une pause après "Et nos amours"; et ce afin qu'il puisse croire, un instant, que ces mots constituent un second sujet du verbe "couler", avant de s'apercevoir qu'ils sont en réalité le complément antéposé de "Faut-il qu'il m'en souvienne".
Ah! Guillaume, je devine ce qui s'est passé dans ton esprit. Tu n'avais pas du tout cherché cette ambiguïté quand tu as composé mentalement ton poème; tu en as pris conscience en le notant, et tu t'es dit alors: "coulent la Seine et nos amours", quel beau et profond zeugma ça ferait! Alors, pour en faire entrevoir la possibilité au lecteur, tu as fragmenté le second vers de la première strophe. Bien sûr, tu as dû faire la même chose pour les seconds vers des trois strophes suivantes; c'était possible aussi, même si le résultat était un peu étrange pour la seconde strophe, "Tandis que sous / Le pont de nos bras passe". "Tiens, du Nougaro avant l'heure!", as-tu pensé…
Et puis tu as oublié cette petite subtilité introduite au dernier moment dans ton poème; ce qui fait que, quand le linguiste Ferdinand Brunot, le 24 décembre 1913, t'a demandé de le réciter pour ses Archives de la parole (toi le chantre de la modernité, grâce à la technique moderne, tu allais être le premier poète dont on conserverait la voix!), tu l'as déclamé comme s'il était écrit en tercets de décasyllabes. (Le document est ici.)
Merci pour ces patients éclaircissements, qui me font entièrement plier. J'ai pourtant passé, jadis, un certain temps sur ce poème, sans que jamais cette évidence me vienne à l'esprit.
RépondreSupprimerLa déclamation d'Apollinaire de 1913, nous en avions parlé avec thé voici quelques mois, mais je n'arrive pas à retrouver dans quel billet (le petit moteur de recherche que j'ai placé dans la colonne de droite ne fouille pas dans les commentaires). En revanche, j'ignorais que l'enregistrement avait été fait à l'instigation de Ferdinand Brunot.
De même que je vous donne entièrement raison pour la division en strophes et les décasyllabes (les pentasyllabes ne riment pas !) du poème de Gougaud, que j'avais transcrit à la va-vite.
Permettez-moi de rendre humblement hommage à l'étendue de vos connaissances en matière de littérature et de figures de style ("anaphore", j'avais complètement oublié ce que c'était).
J'ai écouté la chanson de David McNeil, dont le texte est effectivement splendide. J'apprécie beaucoup la richesse de ses rimes, grâce à cette technique du rejet que Gainsbourg à su porter à des sommets.
Quant aux Tuileries, j'en ai trouvé une autre version, interprétée par un chanteur que je me souviens avoir entendu dans un bar de la Butte-aux-Cailles voici une vingtaine d'années. Très pratique, malgré la quantité d'erreurs, ce gadget de MusicMe permettant d'accéder à la totalité des interprétations d'un même morceau.
Quant au texte complet du poème, il est disponible ici, avec toutes les références et variantes.
À l'époque où j'en cherchais la provenance, je n'avais pas accès au Net…
Merci pour le lien vers la version des Tuileries par Vincent Absil, cher George. J'aime beaucoup moi aussi comparer les versions d'une même (bonne) chanson, mais celle-ci me paraît d'un intérêt mineur, car trop imitée de l'interprétation géniale de Colette Magny (même swing, mêmes phrasés, même vibrato aux mêmes endroits). Que la mélodie qu'elle a composée pour ce poème est belle!
RépondreSupprimerMerci aussi pour le lien vers le poème de Hugo, ma mémoire me jouait des tours (ce n'est finalement pas dans une pièce de théâtre, mais dans les esquisses d'un recueil; voilà donc pourquoi c'est introuvable en dehors des Œuvres complètes.)
La chanson de McNeil est effectivement superbe, on se demande pourquoi elle n'est pas plus connue. Montand en fait des tonnes; il existe une autre interprétation que je préfère de beaucoup, par McNeil lui-même en duo avec Robert Charlebois, lors des adieux à la scène de McNeil, à l'Olympia, en 1997. Mais elle paraît introuvable en ligne, et pour l'instant je n'arrive pas à remettre la main sur le CD. Patience.
Un mot à propos du Pont Mirabeau, encore. J'ai toujours été émerveillé par la fausse simplicité de ce poème. Comment comprenez-vous, littéralement, la deuxième strophe:
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse ?
Merci a vous.
RépondreSupprimerG
RépondreSupprimerOui, on en avait parlé
Mais, moi, je ne parle pas aussi bien que l'anonyme (et je le regrette, sincèrement), et n'ai pas sa culture. Je goûte seulement
Apollinaire, je goûte
Et quand j'ai goûté, je continue. Donc, j'ai lu, comme vous, comme anonyme.
Mais quand j'ai goûté un fruit ou autre, il me viendrait pas à l'idée de le transformer, de le faire autre
De faire coulent ..., c'est carrément impropre. C'est transformer un poème, le rendre à une prose académique
C'est oublier ce qu'est la poésie
Sinon, F. Brunot, c'est en faire un linguiste avant l'heure, non ? Mais c'est un détail...
Et littéralement ce qu'en comprend G , ce que vous en comprenez, ce que je ressens, ce doit être des choses bien différentes
Qui peut demander à l'autre ce qu'il comprend ?
L'enregistrement d'Apollinaire lui-même lisant le Pont Mirabeau semble confirmer les analyses de l'anonyme sur l'incertitude syntaxique voulue. D'ailleurs, l'absence de ponctuation fait aussi partie de cette technique de l'hésitation dscrète sur le sens, assez fréquente chez Guillaume, qui lui aussi pense que le sens trop précis raturerait sa vague littérature...
RépondreSupprimerthé, je ne transforme pas le poème lui-même, je ne porte pas atteinte à son intégrité comme quand une chaîne de télévision japonaise fait décaper la chapelle Sixtine pour lui donner les couleurs d'un dessin animé de Oualte Disnet, irréversiblement: je montre juste comment il pourrait être noté (et simplement noté) autrement, pour faire apparaître de petites choses cachées, des ambiguïtés, et en définitive pour comprendre pourquoi il est comme ça. C'est une simple opération mentale, transitoire, qui n'appelle rien d'autre à la fin qu'un retour au poème lui-même -- lequel n'a pas été affecté par l'opération, comme vous pouvez le constater en ouvrant votre exemplaire d'Alcools.
RépondreSupprimerEn l'occurrence, on sait que les poèmes en vers réguliers comme Le Pont Mirabeau, Apollinaire les composait intérieurement, et ne les posait sur le papier qu'une fois qu'ils étaient entièrement terminés dans son esprit. Ce qui veut dire qu'à la différence des Calligrammes, évidemment, et même des poèmes en vers libres, leur mode d'existence était d'abord sonore, vocal (même s'il ne s'agissait que de la voix intérieure). Par la force des choses, la version écrite fixe certaines incertitudes, efface certaines ambiguïtés présentes à l'origine dans le poème. Si Apollinaire n'avait jamais publié Le Pont Mirabeau, si nous le connaissions seulement par l'enregistrement de 1913, nous ne pourrions pas deviner la disposition étrange des strophes en 4 vers au lieu de 3, ni savoir si c'est "coule" ou "coulent" au premier vers… Je ne cherche donc pas à fixer un sens précis, à imposer une lecture réductrice et prosaïque: au contraire, il s'agit de faire apparaître la subtilité cachée d'un poème que nous connaissons peut-être trop bien, et dont la simplicité est trompeuse.
Ceci dit, je respecte tout à fait votre point de vue: chacun lit la poésie selon son plaisir, on peut fort bien récuser toute forme de commentaire, je le comprends et ça ne me gêne pas. Mais on peut aussi juger que les commentaires permettent (parfois) d'accéder à une dimension latente qui fait partie intégrante du texte, et que l'on manquerait autrement.
Par contre, je suis en désaccord avec ce que vous écrivez sur deux points.
D'abord, l'idée qu'il serait sacrilège de transformer un texte. Interdisez-vous à George de réaliser un double phonétique de ce Pont Mirabeau, ou un pastiche d'Heureux qui comme Ulysse? à tel oulipien de composer une version lipogrammatique de La Chanson du Mal-Aimé? Et quand Apollinaire lui-même prend un poème allemand de Clemens Brentano, le traduit librement et partiellement en transformant des quatrains de vers courts en distiques d'alexandrin, pour composer La Loreley, est-ce illégitime?… Ces jeux de reprises, de transformations, voire de déformations, font partie intégrante de l'art même.
Second point de désaccord: "Qui peut demander à l'autre ce qu'il comprend?" Moi j'aime savoir comment d'autres comprennent -- les œuvres littéraires, le monde, la société, la vie. C'est pour ça que je traîne par ici, d'ailleurs. Et que je lis de la poésie. Et n'allez pas me dire que dans la poésie il n'y a rien à comprendre: la poésie ce n'est pas de la musique, c'est du langage, c'est donc un jeu sur le sens autant que sur les sonorités. Cela ne veut pas dire qu'il y ait un sens auquel on puisse réduire le poème en le reformulant en "prose académique", mais des effets de sens multiples, complexes, parfois contradictoires -- et plus on a conscience de ces sens possibles, plus le plaisir que l'on retire de la lecture est intense. C'est du moins mon expérience de lecteur.
Ah, j'oubliais votre question à propos de Brunot. Vous lui contestez le titre de linguiste parce que vous en restreignez l'emploi aux représentants de la linguistique moderne, je pense? Vérification faite, linguiste est employé depuis le XVIIe siècle au sens de "spécialiste de la langue". Brunot a été le premier titulaire d'une chaire d'histoire de langue française dans l'Université française; s'il n'est certes pas un grand théoricien de la langue (comme Ferdinand de Saussure, qui enseignait en Suisse à la même époque), il est du moins l'auteur d'une monumentale Histoire de la langue française des origines à 1900, dépassée sur certains points, mais pas encore remplacée à ma connaissance.
RépondreSupprimer"D'abord, l'idée qu'il serait sacrilège de transformer un texte."
RépondreSupprimerD'accord avec vous. Pour G , comme pour d'autres c'est une re-création et récréation
"Second point de désaccord: "Qui peut demander à l'autre ce qu'il comprend?"Oui, je suis un peu asociale, ça m'est égal comment les autres comprennent les textes. Non, non, ai jamais dit qu'il n'y avait rien à comprendre ; au contraire
Brunot.Oui, j'ai restreint. Si linguiste date du 17°, linguistique est plus tardif. Même période que Meillet, son contemporain, non ? Brunot est plus descriptif qu'explicatif, une sorte de Grand Grevisse.
thé, si nous avions été deux jeunes membres du groupe surréaliste en 1934, dans l'homérique Querelle dite "des Haricots sauteurs", je crois bien que vous auriez pris le parti de Breton, et moi celui de Caillois…
RépondreSupprimer"Grand Grevisse", l'Histoire de Brunot? Le titre même de Grevisse (Le Bon Usage) indique que son livre a une visée normative (même si en réalité, la masse d'exemples contradictoires qu'il fournit sur nombre de questions laisse en définitive le lecteur libre de trancher comme il veut). Et son objet est l'usage moderne de la langue. Ce n'est pas la visée de Brunot, qui est descriptive, et historique.
George, j'ai fini par retrouver le CD où David McNeil chante lui-même Vous souvenez-vous Louisa en duo avec Robert Charlebois. Vous pourrez l'écouter ici.
Oui, oui,
RépondreSupprimeravais dit Grand Grevisse comme on dit Grand Robert. OK avec le reste ; je suis quelqu'une de très laconique...
Merci à tous pour la richesse de vos commentaires, notamment à l'Anonyme, et aussi pour avoir pris la peine de nous livrer cette version de McNeil & Charlebois qui repose des rodomontades de Montand.
RépondreSupprimerJe ne crois pas avoir jamais entendu parler de David McNeil, vers qui mes antennes sont depuis hier intensément tendues. Faire rimer Lubitsch avec Machu Picch[u]; il faut quand même une bonne dose d'audace !
Dans la querelle Breton/Caillois, je me suis toujours rangé du côté de ce dernier, tout simplement parce que la position de Breton est obscurantiste, et que Caillois a raison de s'émerveiller de la richesse de la nature plutôt que d'un vulgaire truc d'illusionniste. Le rêve a plusieurs entrées. Autant Breton a raison quant il exalte la puissance de l'imagination, autant là je ne puis guère lui pardonner cet accès d'œillères volontaires.
À propos d'image, justement, celle qui vient à l'esprit à la lecture de la deuxième strophe du Pont Mirabeau est très claire : on visualise le pont formé par les bras unis des amoureux se faisant face. Ce qui est beaucoup moins clair, c'est le dernier vers de la strophe, et l'obscurité est accentuée par l'inversion. Dans le poème se confondent le fleuve, l'amour et le temps, qui tous s'écoulent, passent, s'en vont. Mais pourquoi l'onde serait-elle si lasse des éternels regards ? À cause de l'éternité amoureuse promise par les regards, éternité dont on sait qu'elle était fallacieuse, maintenant que cet amour s'en est allé ? Autrement dit (ce que thé réprouve) : tandis que nous nous enlaçons et nous contemplons émerveillés, notre amour insensiblement s'amenuise ? Il y a quelque chose de cet ordre, d'autant que cette strophe mêle le passé et le présent tout en invoquant l'éternité, mais il est impossible de l'expliciter entièrement. Et tant mieux, c'est la magie (chère, celle-là, tant à Breton qu'à Caillois) de la poésie, qui fait que l'on n'a pas besoin d'explication discursive pour comprendre et ressentir intensément ce que dit le poème.
J'ai sous les yeux la reproduction du manuscrit autographe du poème conservé à la BN. Cette version, autrement disposée, raturée (on lit nettement qu'Apollinaire, au premier vers de la troisième strophe, avait d'abord écrit L'amour s'en est allé) est encore ponctuée, de la façon suivante :
Sous le pont Mirabeau coule la Seine.
Et nos amours faut-il qu'il m'en souvienne ?
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit, sonne l'heure,
Les jours s'en vont, je demeure.
Les mains dans les mains, restons face à face,
Tandis que sous le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse.
Vienne la nuit, sonne l'heure,
Les jours s'en vont, je demeure.
L'amour s'en va comme cette eau courante,
L'amour s'en va ; comme la vie est lente
Et comme l'espérance est violente !
Vienne la nuit, sonne l'heure,
Les jours s'en vont, je demeure.
Passent les jours et passent les semaines,
Ni temps passé, ni les amours reviennent ;
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit, sonne l'heure
Les jours s'en vont, je demeure.
Merci pour la version manuscrite du Pont Mirabeau, cher George. Où peut-on en voir une reproduction? J'ai pour ma part, dans une édition club des années 50, le fac-similé d'un jeu d'épreuves partielles d'Alcools alors en possession de Tristan Tzara; c'est sur ces épreuves qu'Apollinaire, après avoir découvert les premiers poèmes de Cendrars, a supprimé la ponctuation jusque-là présente sur l'ensemble du recueil…
RépondreSupprimerPour la deuxième strophe, oui, ma question portait sur le dernier vers, et sa construction problématique (à quoi se rapporte "des éternels regards"?); et je le comprends comme vous, mais avouez qu'il faut bien y réfléchir.
Aucun des disques de David McNeil ne semble plus disponible, et c'est triste: c'est un auteur remarquable (il a eu quelques succès, notamment avec les chansons qu'il a écrites pour Julien Clerc: Mélissa, c'est lui), et un interprète dont on se demande pourquoi il n'a jamais vraiment percé tant sa voix, chaude et d'une grande douceur, est attachante. Puisque tous ses disques sont épuisés, je donne un autre spécimen de son talent ici; pour être tant soit peu dans le sujet du billet, j'ai choisi une évocation du Paris des années 70, Boulevard Sébastopol.
Merci, ce second spécimen confirme effectivement le talent décelable dans le précédent. Et dans les deux, des références à la littérature américaine : Hemingway, Miller. Très belle voix, en effet, légèrement rocailleuse, qui me rappelle un autre chanteur mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Pas Graeme Allwright, pourtant…
RépondreSupprimerLe manuscrit autographe du Pont Mirabeau est reproduit dans un poche de la collection "foliothèque", chez Gallimard : Michel Décaudin commente Alcools de Guillaume Apollinaire (1993), p. 35. Vous remarquerez que la ponctuation logique manque après le dernier "Seine" et le dernier "heure". En regard, page 34, Décaudin écrit ceci :
« Enfin, Apollinaire supprime sur ces épreuves toute la ponctuation. On a souvent avancé que, soucieux de paraître au premier rang de l'esprit moderne, il s'était empressé d'appliquer le précepte de Marinetti dans son Manifeste technique qui venait de paraître : "Plus de ponctuation." [j'ignore si ce point fait réellement partie de la citation de Marinetti…] Mais son indifférence à la ponctuation est bien plus ancienne, comme en attestent tous ses manuscrits. Et elle suffit, alliée à son sens du rythme et de la mesure du vers, à expliquer une décision qui est dans la logique de son écriture et de sa lecture. »
Les mains dans les mains restons face à face
RépondreSupprimerTandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse.
Georges WF Weaver ecrit ; "Mais pourquoi l'onde serait-elle si lasse des éternels regards ? À cause de l'éternité amoureuse promise par les regards, éternité dont on sait qu'elle était fallacieuse, maintenant que cet amour s'en est allé?"
Hum..merci encore une fois aux precieux intervenants de ce fil,et merci a G.Weaver d'ouvrir ainsi son blog aux passants et autres curieux,qui se laissent pieger au jeu du dechiffrement.
Il me semble (c'est comme ca qu'on commence d'habitude?),qu'il nous faut nous referer aux deux rives de la Seine afin de "venir a bout" de la strophe.Les deux amants,malgre leur amour qu'illustre la figure du pont,ne s'uniront pas,ne fusionneront pas,et ces deux rives resteront a jamais paralleles,malgre la promesse d'eternite relevee par Georges WF Weaver et qui n'est pas a mon avis le fin mot de l'histoire.Car,Le but toujours a eux inaccessible,c'est une veritable union,une fusion totale de leur etre,refusee a la personne humaine de par sa condition ontologique,et dont le poete plus que tout autre ressent la cruelle impossibilite (et c'est peut-etre ce constat qui en fait un poete,je ne sais pas)
Le fait que l'amour passe,que la promesse d'eternite ne puisse etre remplie,me parait secondaire au regard de cet element,mystique et reellement transcendant(nommons-le ainsi,pedantement).Il ne reste aux rives,et a ceux qui sont donc sur les berges,qu'a contempler la fuite du temps,incarnee donc par l'onde,figure qui finalement echappe a toute exegese,mais dont la lassitude est comprehensible,face a la repetition de la scene de l'union toujours promise par les deux bras,mais jamais realisee par les deux rives.Elle symbolise evidemment aussi(l'onde),litteralement,l'influx amoureux qui voudrait que l'on passe a quelque chose de plus concret,serieux,hum..
C'est la plus belle et profonde strophe du texte,et merci a l'anonyme d'avoir attire l'attention dessus.
(mais peut-etre ai-je enfonce des portes ouvertes?)
Mais non, Venik, pas plus que les mouches ne sont sodomites, et d'abord, bienvenue ! depuis vos confins parfois glacés…
RépondreSupprimerJe vous ai croisé chez Causeur, mais ce site me répugne tant que je ne vous y ai guère prêté attention, pas plus qu'à Raymond2 ou d'autres individus dont je pourrais me sentir proche : le fait de désirer discuter là-bas m'est incompréhensible.
Mais vous avez dérivé de là-bas chez Jérôme, puis ici, et j'ignore où cela vous mènera.
Je trouve vos remarques très intéressantes, et je n'avais pas du tout pensé à l'impossible jonction des rives, entre lesquelles le fleuve (et l'amour, et le temps) est condamné à s'écouler; tandis qu'elles-mêmes sont condamnées à demeurer les immobiles spectatrices de ce mouvement.
Donc, dans ce poème, le jeu temporel est également spatial : la confusion engendrée chez le poète par la perte de son amour affecte l'ensemble des « formes a priori de la perception » (dirait Kant), c'est-à-dire la totalité de l'univers perceptible.
Dérèglement complet, inévitable. Et n'est-ce pas ce que nous ressentons tous, lorsque l'amour nous a été sabré comme du champagne, et que nous continuons de courir, poulets décapités ?
Bon, je m'égare un peu et manque de fraîcheur, on reverra ça demain, mais surtout, l'essentiel de votre propos, sur l'impossible fusion des individus, me rappelle furieusement Bataille, je ne sais plus quel passage de L'érotisme, et L'impossible, évidemment. Je vais essayer de retrouver cela.
Merci encore pour ces pétards que vous avez déposé depuis vos steppes.
Voilà. De même que Bataille s'insurge contre le fait que la fusion, cette promesse cardiaque et perpétuelle de l'amour, ne puisse avoir concrètement lieu en dehors d'un bref instant [voyez comme on est obligé de mêler le langage de l'espace et celui du temps] coïtal, de même, l'Amour (l'Amour dans l'absolu, l'idée platonicienne ((ou autre)) de l'amour ici fugitivement incarnée entre deux individus réels, Apollinaire et Marie Laurencin) est las de ces regards qui le régénèrent mais dont il sait qu'ils vont doucement finir par l'abolir. Cela me rappelle Pandora, le film d'Albert Lewin dont j'ai causé ici : l'amour est las de savoir que ces incessantes promesses d'éternité qu'échangent les regards vont s'abolir dans une merde noire.
RépondreSupprimerEt on peut comprendre cela, non ?
L'onde serait l'Amour ? Suis-je bete,et si lourd.. (oh ! 2 hexasyllabes).
RépondreSupprimerMerci d'elever le debat et de me tirer de ma steppe boueuse,Bataille me voila ! Kant,pass auf !
J'apprecie beaucoup votre metaphore du poete en poulet decapite poursuivi par les mouches (comprendre:les critiques litteraires).
Je vais de ce pas lire votre causerie sur Pandora et reviendrai ensuite jeter quelques petards comme vous dites(quoique je les reserve surtout a l'auditorium de Causeur ou je ne vais pas pour discuter mais pour des motifs inavouables,pathologiques,et en definitive,tres complaisants).
Au fait,comment savez-vous que je vis dans une yourte? Mystere.)
Quant a la m.. noire (excusez je ne peux ecrire le mot n'ayant pas resolu mon Oed'hic!),me revient a l'esprit le mot de Cendrars que je place partout et donc vous y avez droit ce soir: " Quand on aime il faut partir".
Merci pour tout.
Auditorium complaisant, c'est exactement les termes que cherchais depuis longtemps pour Causeur.
RépondreSupprimer« Quand on aime, il faut partir » : ce mot-là a été décliné par ailleurs, et bien.
Pour votre yourte, c'est juste qu'y il a un mouchard, en bas de la colonne de droite, accessible à tous.
Bientôt les RFID virtuelles, indétectables, inoffensives, amicales,
et tellement sécuritaires…
Damanature !
RépondreSupprimer… que je cherchais,
comme George marchait.
Peut-etre vais-je enfin aimer Guillaume et Barbara..
RépondreSupprimerQui ne le pourrait ?
RépondreSupprimerMais personne ne vous y forcera…
À la suite de récents échanges, je me suis mis à réécouter du Reggiani, chose qui ne m'était pas arrivée depuis longtemps.
RépondreSupprimerEt je suis tombé sur cette lecture du Pont Mirabeau, qui corrobore tout à fait l'interprétation qu'ont donnée de la première strophe l'indispensable Anonyme et l'ex-colonel.
Dans cette émouvante version, je remarque la légère déchirure de sa voix au moment où il dit pour la dernière fois « la Seine », comme s'il marquait une note d'incertitude.
Moi, comme je suis un peu sourde, j'entends pas. J'ai bien réécouté Apollinaire.
RépondreSupprimerJ'entends
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
et après
nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne
Le et n'est pas là pour lier Seine et amours
La 2° strophe reprend la même structure, Le 2° vers est lié au 3° vers et non au 1°
Sinon, je crois pas qu'y ait beaucoup de yourtes à Moscou.
RépondreSupprimerOu, ce Venik est un blagueur. Il a dû voir Urga.
RépondreSupprimerMais quant au Pont, vous êtes têtue ! "Sourde", mon œil, on n'est pas aveugle ! Vous récusez donc les patientes explications de l'Anonyme, et l' impatiente exhortation de Jérôme…
En ce cas, pourriez-vous expliquer comment vous comprenez ce faut-il qu'il m'en souvienne ?
Selon vous, c'est par rapport à « Et nos amours », ou plutôt au vers suivant ?
Cette incertitude permanente, voyez-vous, donne à mon avis raison à nos amis.
Le premier mot aurait dû être "Oui".
RépondreSupprimerG
RépondreSupprimerVous savez bien que je suis têtue
Je ne crois pas qu'on puisse si on est aveugle goûter la poésie d'Apollinaire. Elle est faite pour être vue. Pas seulement les Calligrammes. Si la fonction première, au sens chronologique, de la poésie est d'être dite, ce n'est pas le cas de cette poésie-là, que ce soit Apollinaire ou un autre de cette période.
S'il peut y avoir ambiguité à l'oral, je le veux bien, et Reggiani fait bien de Seine et amours le sujet de coule, elle est levée à l'écrit. Je ne vois pas pourquoi il y aurait une faute, faute d'orthographe
Et, en plus, ça me parait contraire au sens du poème ; le temps passe, l'eau coule, mais mes amours je les espère là, présents, éternels ; nous restons face à face mais l'eau coule, l'amour est plus fort que le temps. C'est une injonction. Mais ce que je voudrais ne peut pas être. L'amour va fuir, oui comme cette eau. Mais pas dans le 1° quatrain. Le 1° quatrain, c'est une évocation de bonheur, le temps passait, notre amour était toujours là en dépit du temps qui passait, la joie recouvrait la peine
Que d'eau, que d'eau!
RépondreSupprimerLà, je ne comprends pas la référence à Milou.
RépondreSupprimerPardon, je suis en train de lire vos derniers commentaires sur Vian.
Zazie non plus
RépondreSupprimer"Sur le Pont-Neuf, j'ai rencontré“…
RépondreSupprimerD'où sort cette chanson lointaine?
Je l'ignore, mais me revient vaguement en mémoire une rime du genre :
RépondreSupprimer"En fac' de Saint-Germain-des-Prés".
quelle est la figure de style du vers " des eternels regards l'ond si lasse"?
RépondreSupprimerDésolé, vous frappez à la mauvaise porte : je ne suis pas prof. de français.
RépondreSupprimerD'ailleurs, je ne suis même pas sûr qu'il y ait une figure de style : je n'y vois pour moi qu'une inversion.
Je reviens sur cette pourtant bien trop longue discussion:
RépondreSupprimer- pour ajouter un lien vers la version Marc Ogeret de Paris ma rose, que j'ai fini par dénicher en cédé ces jours-ci.
- pour répondre à une question que nous nous posions autour du 25 août: qui a publié chez Denoël, à quelques années d'écart, Jean-Paul Clébert, Jacques Yonnet et Bob Giraud? La récente réédition de Paris insolite, qui a connu un beau succès, s'est accompagnée de plusieurs interviouves de Clébert; celui-ci raconte qu'il avait d'abord envoyé son manuscrit à Cendrars, lequel l'avait transmis directement à Denoël. Pour les deux autres ouvrages, il semble que le directeur littéraire était Robert Kanters. J'ai découvert depuis cet été un blogue qui fournit quantité d'information sur Giraud et ceux qui l'ont connu.
- et pour résoudre la petite énigme que j'avais posé dans le commentaire du 8 septembre: c'était une allusion à un poème d'Aragon, plein de réminiscences d'Apollinaire (voyez le vers "Mon autre au loin ma mascarade", clin d'œil à "Mon île au loin ma Désirade"!), qui mériterait sans doute d'être un peu mieux connu.
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
D’où sort cette chanson lointaine
D’une péniche mal ancrée
Ou du métro Samaritaine
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Sans chien sans canne sans pancarte
Pitié pour les désespérés
Devant qui la foule s’écarte
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
L’ancienne image de moi-même
Qui n’avait d’yeux que pour pleurer
De bouche que pour le blasphème
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Cette pitoyable apparence
Ce mendiant accaparé
Du seul souci de sa souffrance
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Fumée aujourd’hui comme alors
Celui que je fus à l’orée
Celui que je fus à l’aurore
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Semblance d’avant que je naisse
Cet enfant toujours effaré
Le fantôme de ma jeunesse
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Vingt ans l’empire des mensonges
L’espace d’un miséréré
Ce gamin qui n’était que songes
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce jeune homme et ses bras déserts
Ses lèvres de vent dévorées
Disant les airs qui le grisèrent
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Baladin du ciel et du cœur
Son front pur et ses goûts outrés
Dans le cri noir des remorqueurs
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Le joueur qui joua son âme
Comme une colombe égarée
Entre les tours de Notre-Dame
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce spectre de moi qui commence
La ville à l’aval est dorée
A l’amont se meurt la romance
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce pauvre petit mon pareil
Il m’a sur la Seine montré
Au loin les taches de soleil
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Mon autre au loin ma mascarade
Et dans le jour décoloré
Il m’a dit tout bas Camarade
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Mon double ignorant et crédule
Et je suis longtemps demeuré
Dans ma propre ombre qui recule
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Assis à l’usure des pierres
Le refrain que j’ai murmuré
Le rêve qui fut ma lumière
Aveugle aveugle rencontré
Passant avec tes regards veufs
Ô mon passé désemparé
Sur le Pont Neuf
Merci : vous êtes une mine, Anonyme !
RépondreSupprimerRobert Kanters, tiens donc… bon, je vais vraiment aller me renseigner.
Je ne connaissais pas ce poème-là d'Aragon, dont Bernard Dupriez, dans son Gradus, nous dit qu'il se fit le chantre de l'enjambement et de ce qu'il nommait lui-même "rime complexe", « en terminant le vers au milieu du syntagme voire au milieu du mot graphique » (p. 181). Et Dupriez de citer un extrait pour le moins osé (et assez apollinairien) du Crève-cœur :
Ne parlez plus d'amour. J'écoute mon cœur battre
… Ne parlez plus d'amour. Que fait-elle là-bas
Trop proche et trop lointaine ô temps martyrisé
[…]
Parler d'amour, c'est parler d'elle et parler d'elle
C'est toute la musique et ce sont les jardins
Interdits où Renaud s'est épris d'Armide et l'
Aime sans en rien dire absurde paladin
Pour ma part, je me suis aperçu, en rangeant une partie immergée de ma discothèque voici deux mois, que je possédais plusieurs LP's de Henri Gougaud, dont je vous disais ici-même que j'ignorais sa qualité de compositeur-interprète !
Et en cherchant des informations sur Maurice Raphaël, je suis tombé sur les souvenirs d'un certain Marino Zermac, dont j'ignorais tout jusqu'alors. Je pense que cela devrait vous intéresser…
Merci pour la version mp3 d'Ogeret.
Merci pour le lien vers la chanson Sarde/Caussimon !
RépondreSupprimerMais de rien, cher ami : l'un des principes qui régissent ce blogue-ci (et mon existence, au passage) est le joyeux partage des connaissances et des idées de correspondances. Et j'ai remarqué que vous n'étiez pas le dernier à nous en prodiguer, chez FQG...
RépondreSupprimerJolie chanson, n'est-ce pas ? et assez entêtante, au reste...
Mais la suite des commentaires, même si elle dévie vite du sujet original, ne manque pas non plus de sel.
Mais non ! Paris n'a perdu ni sa gouaille ni son esprit. Exemples :
RépondreSupprimer"Ouarf ! T'as mis ta muselière ? Ouaf Ouaf !"
"Vaaz'y, j'ai pas la queue vide."
(À quelques rues plus "arty", graphé), "Je me sushi du Codiv de la séparation".
Quels sont les éléments qui contribuent au cynisme et à l'amertume exprimés dans l'article par rapport à la vision idéalisée de Paris dans la chanson ? Telkom University
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