C'était l'hiver et il faisait nuit. Arrivant directement de l'Arctique, un vent glacé s'engouffrait dans la mer d'Irlande, balayait Liverpool, filait à travers la plaine du Cheshire (où les chats couchaient frileusement les oreilles en l'entendant ronfler dans la cheminée) et, par-delà la glace baissée, venait frapper les yeux de l'homme assis dans le petit fourgon Bedford. L'homme ne cillait pas.
[…]
Et parfois il arrive ceci : c'est l'hiver et il fait nuit ; arrivant directement de l'Arctique, un vent glacé s'est engouffré dans la mer d'Irlande, a balayé Liverpool, filé à travers la plaine du Cheshire où les chats couchent les oreilles en l'entendant hurler et passer ; ce vent glacé a traversé l'Angleterre et franchi le Pas-de-Calais, il a survolé des plaines grises et vient frapper directement les vitres du petit logement de Martin Terrier, mais ces vitres ne vibrent pas et ce vent est sans force.
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Et parfois il arrive ceci : c'est l'hiver et il fait nuit ; arrivant directement de l'Arctique, un vent glacé s'est engouffré dans la mer d'Irlande, a balayé Liverpool, filé à travers la plaine du Cheshire où les chats couchent les oreilles en l'entendant hurler et passer ; ce vent glacé a traversé l'Angleterre et franchi le Pas-de-Calais, il a survolé des plaines grises et vient frapper directement les vitres du petit logement de Martin Terrier, mais ces vitres ne vibrent pas et ce vent est sans force.
Jean-Patrick Manchette, La position du tireur couché,
Gallimard, 1981, coll. « Série Noire » n° 1856, p. 7 et p. [183]
Gallimard, 1981, coll. « Série Noire » n° 1856, p. 7 et p. [183]
Le simoun, vent très chaud, se lève par bourrasques au sud du Maroc saharien. Il y produit des tourbillons compacts, brûlants, coupants, assourdissants, qui masquent le soleil et gercent le bédouin. Le simoun reconstruit le désert, exproprie les dunes, rhabille les oasis, le sable éparpillé va s'introduire profondément partout jusque sous l'ongle du bédouin, dans le turban du Touareg et l'anus de son dromadaire.
Le Touareg, bâché de bleu, se tient coi sur la bosse de sa bête. Près de lui, statufiés sous la tourmente, trois autres Touareg attendent que ça se tasse. Le sable fait monter un socle, poussière de pierre autour des chevilles des animaux. Quand le plus jeune des Touareg, affolé, crie qu'il s'enlise et que ça ne va plus du tout, ses aînés ne lui répondent pas. Sous leur housse, ils n'ont pas dû entendre la voix du débutant. C'est qu'autour d'eux la tempête grince énormément.
Mieux instruits que le jeune méhariste, ses aînés savent que le phénomène arrive du cœur du continent, qu'un aquilon venu d'Afrique centrale déchire de temps en temps le grand désert du Nord dont il fait bouillir l'étendue stérile et transporte l'écume au-delà des mers. Se délestant à la surface des eaux, tel une montgolfière, des sacs de sable du Grand Erg, faisant frémir au passage le titane des Boeing, le désert vole vers l'Europe dont il va poudrer le Nord-Ouest, perfectionner le revêtement des plages et propulser des grains dans tous les engrenages.
Croisant vers le nord, le tapis volant marocain touche Paris dans le milieu de la nuit, s'y dissémine uniformément sans omettre bien sûr le secteur Maroc, vers Stalingrad après la rue de Tanger : il recouvre la rue du Maroc, la place du Maroc et l'impasse du Maroc au bout de laquelle réside Louis Meyer, homme astigmate et polytechnicien, quarante-neuf ans jeudi dernier, spécialisé dans les moteurs en céramique.
Le Touareg, bâché de bleu, se tient coi sur la bosse de sa bête. Près de lui, statufiés sous la tourmente, trois autres Touareg attendent que ça se tasse. Le sable fait monter un socle, poussière de pierre autour des chevilles des animaux. Quand le plus jeune des Touareg, affolé, crie qu'il s'enlise et que ça ne va plus du tout, ses aînés ne lui répondent pas. Sous leur housse, ils n'ont pas dû entendre la voix du débutant. C'est qu'autour d'eux la tempête grince énormément.
Mieux instruits que le jeune méhariste, ses aînés savent que le phénomène arrive du cœur du continent, qu'un aquilon venu d'Afrique centrale déchire de temps en temps le grand désert du Nord dont il fait bouillir l'étendue stérile et transporte l'écume au-delà des mers. Se délestant à la surface des eaux, tel une montgolfière, des sacs de sable du Grand Erg, faisant frémir au passage le titane des Boeing, le désert vole vers l'Europe dont il va poudrer le Nord-Ouest, perfectionner le revêtement des plages et propulser des grains dans tous les engrenages.
Croisant vers le nord, le tapis volant marocain touche Paris dans le milieu de la nuit, s'y dissémine uniformément sans omettre bien sûr le secteur Maroc, vers Stalingrad après la rue de Tanger : il recouvre la rue du Maroc, la place du Maroc et l'impasse du Maroc au bout de laquelle réside Louis Meyer, homme astigmate et polytechnicien, quarante-neuf ans jeudi dernier, spécialisé dans les moteurs en céramique.
Jean Echenoz, Nous trois, Minuit, 1992, p. 13 sq.
Pourquoi Lewis Carroll ?
RépondreSupprimerEn écho, le 2° texte, mais pas aimé du tout.
Et son Touareg , et qui se bâche, et qui se housse.
Et les reprises hésitantes de bédouin/touareg, Le plus jeune/débutant
C'est pas un texte, c'est du bégaiement
Avec un pseudo tel que le vôtre, thé, je m'étonne que les chats de Manchette ne vous évoquent pas l'univers du révérend Charles Lutwidge Dodgson.
RépondreSupprimerQuant à Echenoz, nos goûts diffèrent. Je ne lis dans son texte ni condescendance, coloniale ou autre susceptible d'intéresser la HALDE, ni hésitation ; une progression semblable à celle du Manchette, plus développée, avec une halte justifiée. Une écriture très maîtrisée qui se joue un peu d'elle-même : bâché-bleu-bosse-bête, les dentales occlusives sourdes de la phrase suivante qui à moi m'évoquent l'attaque cinglante des grains de sable…
Mon pseudo est aussi ce qu'il tait.
RépondreSupprimerNon, cela n'avait pas évoqué, comme il dirait , et que j'aime pas parler comme ça, l'auteur d' Alice
J'ai jamais dit condescendance, encore moins colonialisme.
C'est dans le regard. Je vois pas les Touaregs se housser, se bâcher.
Pour parler comme vous, George, mais il y a longtemps il me semble qu'on ne parle plus ainsi en Phonétique, où sont les dentales occlusives sourdes (p p p ) ?
L'attaque des grains de sable, en allitérant, on l'évoquerait mieux avec des S S S . Les occlusives, comme leur nom l'indique explosent.
tss, tss, tss, thé… les p sont des occlusives bilabiales sourdes. Les dentales occlusives sourdes, ce sont les t (prononcer "thé"), le tir têtu, intraitable et taraudant, des grains qui mitraillent la chair.
RépondreSupprimerL'effet d'écho est effectivement étonnant et me donnerait presque envie de lire Echenoz que j'ai toujours trouvé un peu faiseur et qui m'a sans le savoir volé un titre superbe, Les grandes blondes.
RépondreSupprimerRelire Manchette, par contre, c'est ce que je vais faire maintenant que l'on vient de nous voler une heure.