Ils ne nous trouvèrent pas — même si ce n’était que partie remise, puisque nous n’étions pas dans le maquis, que la police connaissait nos lieux d’habitation et que nous avions la certitude d’y être cueillis quelques heures plus tard, ou quelques jours si nous estimions la situation assez préoccupante pour nous réfugier provisoirement chez des sympathisants — et, comme à chaque fois que nous nous montrions plus rusés que la police (et c’était, je le dis en toute immodestie, assez souvent), nous en retirâmes une certaine satisfaction exaltée, élargie encore par le sentiment que si elle utilisait contre nous de si grands moyens c’était que nous ne rêvions pas, que nous étions engagés sur la bonne voie. Aujourd’hui, il me semble que nous aurions persisté moins longtemps dans cette exaltation si une partie au moins de la police, à commencer sans doute par son ministre, n’avait partagé notre rêve, même si elle devait l’envisager de son côté comme un cauchemar. Je n’en veux pour preuve que l’insistance avec laquelle certains inspecteurs, lors des interrogatoires qu’il nous arrivait de subir, nous demandaient, et pas sur le ton de la plaisanterie, ce que nous ferions d’eux après la révolution, ajoutant parfois que nous aurions besoin d’une police forte, expérimentée, et que le mieux serait de nous appuyer sur celle qui existait auparavant. Aussi aveugles que nous quant aux chances de succès de nos entreprises, les policiers qui nous tenaient ce langage manifestaient du moins, quant à l’essence même de la révolution, une lucidité dont nous étions incapables.
Jean Rolin, L'organisation, Gallimard, 1996 [rééd. folio n°3153], p. 34 sqq.
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