Même une pomme de terre au fond d’une cave obscure possède une basse astuce dont elle se sert à bon escient. Elle sait parfaitement bien ce qu’elle veut, et comment l’obtenir. Elle sent la lumière tomber du soupirail, et elle y envoie tout droit ses pousses rampantes, et elles ramperont sur le sol et le long du mur jusqu’au soupirail et à l’air libre. Et s’il y a un petit peu de terre quelque part en route, la pomme de terre saura la trouver et s’en servir pour ses fins. Combien de patients calculs elle peut faire pour diriger ses pousses quand elle est plantée dans la terre, nous l’ignorons ; mais nous pouvons l’imaginer occupée à raisonner de cette façon : « Il faut que j’aie une pousse de ce côté-ci et une de ce côté-là, et alors j’absorberai tout ce qui peut m’être avantageux dans ce qui m’entoure, j’étoufferai cette voisine sous mon ombre et je minerai cette autre, et ce que je pourrai faire sera la limite de ce que je ferai. Celle qui est plus forte et mieux placée que moi me vaincra, et celle qui est plus faible que moi, je la vaincrai. »
La pomme de terre exprime tout cela en le faisant, ce qui est le meilleur des langages. Mais qu’est-ce que la conscience, si ce n’est pas là de la conscience ? Il ne nous est pas très facile de sympathiser avec les émotions d’une pomme de terre, pas plus qu’avec celles d’une huître. Ni la pomme de terre ni l’huître ne font du bruit quand on fait bouillir l’une ou qu’on ouvre l’autre, et le bruit pour nous a plus d’éloquence que toute autre chose, parce que nous en faisons tant pour nos propres souffrances ! Il s’ensuit que du moment qu’elles ne nous importunent par aucune expression de douleur, nous disons qu’elles ne sentent rien. Elles ne sentent rien en effet du point de vue du genre humain. Mais le genre humain n’est pas tout le monde.
La pomme de terre exprime tout cela en le faisant, ce qui est le meilleur des langages. Mais qu’est-ce que la conscience, si ce n’est pas là de la conscience ? Il ne nous est pas très facile de sympathiser avec les émotions d’une pomme de terre, pas plus qu’avec celles d’une huître. Ni la pomme de terre ni l’huître ne font du bruit quand on fait bouillir l’une ou qu’on ouvre l’autre, et le bruit pour nous a plus d’éloquence que toute autre chose, parce que nous en faisons tant pour nos propres souffrances ! Il s’ensuit que du moment qu’elles ne nous importunent par aucune expression de douleur, nous disons qu’elles ne sentent rien. Elles ne sentent rien en effet du point de vue du genre humain. Mais le genre humain n’est pas tout le monde.
Samuel Butler, Erewhon, Gallimard, coll. « L’imaginaire »,
pp. 238-239 (tr. V. Larbaud)
pp. 238-239 (tr. V. Larbaud)
Je crains aussi que tout le monde ne soit pas le genre humain, mais c'est un autre débat.
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