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vendredi 31 juillet 2009

Avis de recherche

On avait complètement oublié que GWFW, dans une vie bien antérieure, s'était attaché à reconstituer la liste chronologique de l'intégralité des ouvrages publiés dans la collection 10/18 (Union Générale d'Édition) jusqu'à fin 1985, du n°1 (Descartes, Discours de la méthode, suivi de Méditations métaphysiques) au n°1735 (Lewis, Sam Dodsworth), la suite n'étant guère difficile à retracer.
Un travail de bénédictin forcené, vu l'absence totale de catalogue général de la collection. Des journées entières, dans les années 80, alors que le monde basculait inexorablement vers celui de maintenant, passées dans le lacis discret des travées du troisième étage de Joseph Gibert, à délicatement arracher, en fin de volumes soigneusement choisis, les précieuses listes indiquant les ouvrages disponibles à la date d'impression ; à hanter les librairies vétustes pour tenter de récupérer d'anciens bons de commande 10/18. Des semaines (au total, sur une quinzaine d'années) à percer de pesants mystères, à repérer errances, incohérences et revirements dans l'attribution des numéros aux volumes de la collection.

Le Ferdydurke de Gombrowicz, dans sa délicieuse première traduction (signée « Brone », c'est-à-dire l'auteur lui-même aidé d'amis argentins guère plus francophones), avait été réédité en 10/18 sous le n°385-386. Lorsque Christian Bourgois en a demandé une nouvelle traduction à Georges Sédir, les mollets sont devenus des cuisses et l'ouvrage a été réédité sous le n°741.
De même, Les infortunes de la vertu, de Sade, a connu deux éditions dans la collection : l'une, sous le triple numéro 239-240-241, suivie de Historiettes, contes et fabliaux ; puis une édition simple, sous le n°399.
De même pour la correspondance entre Héloïse et Abélard, d'abord parue sous le titre Lettres au n°188-189, puis rééditée (dans une version sans doute complétée) au n°1309 avec inversion de l'ordre des auteurs (Abélard et Héloïse, Correspondance, dans la série "bibliothèque médiévale" dirigée par Paul Zumthor).
Un abrégé du livre de Norbert Wiener, Cybernétique et société, avait été publié dès les débuts de la collection, sous le n°56. Lorsqu'en 1971 Christian Bourgois et Dominique de Roux décidèrent de le rééditer dans son intégralité, il fut annoncé sous le n°547-548. Mais c'est l'essai de François Perroux, Indépendance de la nation, qui reçut ce numéro. Le texte intégral du Wiener parut un peu plus tard, sous le n°569-570.
Le texte de Perec, Lusson et Roubaud, Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go, qui a longtemps figuré au catalogue (bizarrement assorti d'une interdiction à la vente aux mineurs !), n'est en réalité jamais paru dans la collection. Pareil pour L'art magique, de Breton.
En fin de bien des volumes des années soixante, le pamphlet de Mitterrand, Le coup d'État permanent, figure au n°396 du catalogue. C'est en fait un autre roman de Sade, Histoire secrète d'Isabelle de Bavière, qui est paru sous le n°396-397. Le texte de Mitterrand avait semble-t-il été édité auparavant, sous le n°296. Dans ces listes, une faute de frappe sur un seul chiffre peut conduire à des abîmes de perplexité.

Mais ceci n'est rien par rapport aux numéros fantômes, aux exaspérants trous dans le suivi de la numérotation.
Au cours de l'année 1969, le n°436 a été escamoté, après la parution des quatre tomes du Traité d'économie marxiste d'Ernest Mandel. Ce n'est qu'en 1977 (comme quoi certains, au sein de l'UGE, se souciaient tout de même de la continuité de la numérotation…) que ce numéro a été rajouté sur le volume suivant, Heureux les pacifiques de Raymond Abellio, initialement n°437-438 et ainsi devenu n°436-437-438, mais en réalité 436°°° puisqu'à cette époque, sans doute pour alléger la présentation, le principe de la numérotation multiple avait été abandonné : les volumes parus antérieurement et réimprimés n'étaient alors plus désignés que par leur premier numéro d'origine, suivi d'un nombre d'étoiles correspondant à la quantité de numéros initiaux.
Pendant longtemps, le n°1000 n'a jamais existé. Bien des années plus tard, il a été attribué à la réédition dans la collection du texte de Vernon Sullivan, J'irai cracher sur vos tombes, sous la signature de son véritable auteur.
Le triple numéro 597-598-599 désigne dans quantité de catalogues le recueil du cinéaste Dziga Vertov, Articles, journaux, projets. Mais cet ouvrage, sans doute longtemps ajourné, ayant en fait paru sous le n°705, aucun livre réel ne correspond au triple numéro susdit.

Pour clore cette passionnante aventure, voici la liste des numéros de la collection dont nous ne savons toujours pas à quels livres ils sont censés correspondre, ni même si ceux-ci existent :
426-427
466
619 à 621
787
878
952
961
968
1066
1561
1610
1634
1659
1666
1733
1734
(il se peut que nous ayons déjà réduit les incertitudes concernant ces sept derniers numéros. Mais cette partie de notre reconstitution du catalogue se trouvant sur le disque dur d'un antique notebouque auquel nous n'avions plus touché depuis six ans, et dont la pile d'horloge a apparemment fondu sur la carte-mère, nous sommes présentement dans l'incapacité d'y accéder…)

mercredi 29 juillet 2009

Foutre mêlé

Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Voici Les maîtres fous, de Jean Rouch (1955), qu'on n'ira pas qualifier de feu très mou tant ça n'a rien perdu de sa force.
Mais allez-y voir vous-mêmes, chez UbuOuèbe : c'est la caverne d'Ali Baba.

O. W., dit « artsophage »

Magie de UbuOuèbe : voici le tout premier film de ce vieil ourson de Welles, qui avait alors 19 ans.

Savoir diriger les acteurs

Qui aurait pu imaginer que le porteur d'un patronyme aussi banal pût se montrer aussi époustouflant d'intelligence ?
Désolé pour la piètre qualité de la vidéo, mais c'est pas souvent qu'on trouve ce film sur la Toile.

mardi 28 juillet 2009

« Et la guerre est à peine commencée… »


Quand le Parti Imaginaire passait de l'autre côté de la caméra, juste après le 11 septembre 2001…
On peut lire et télécharger le texte lu en voix off dans ce film sur cette page du site Le Jura Libertaire, qui propose également une version sous-titrée en anglais.

dimanche 26 juillet 2009

J'erre aux meules, heure où, aaah…

J'ignore pour vous, mais quant à moi, une semaine d'absence de l'ex-colonel, je peux vous dire qu'on se morfond, ma bonne dame !
Y'a pas à dire, ça manque de peps dans les schmurfzts !

Sale matinée

Se réveiller salé, avec la soif à la tête, tout décalé, tout oublié : te voilà transformé en fantôme imbibé de sommeil. Réveil carrelé, glacé, carré, froid comme un caveau : matin-tombeau. Tombeau-sapin, froid des forêts effrayées. Envie de déglutir, de s’engloutir… Se réveiller vieux, ivre encore de la veille, à sec ; ouvrir les yeux sur le gué d’une rivière à sec, stupide gué pas gai qui rend intolérable l’absence de torrent rugissant, le fracas du flux de flots d’eau, les flocons d’eau, la poussière d’eau, la brume humide des abeilles, l’essaim de l’eau.
Dans la rue j’observe minutieusement chaque femme croisée… Tiens, cette vieille se retourne brusquement car elle comprend qu’elle est ma mère, que je suis son fils abandonné… Non, elle ne m’a pas vu… Vite, boire de la poudre !
GRAND RÉVEIL net, réveillé comme on vous assomme, paf ! avec un sale goût au fond du bec, comme si j’avais bouffé de la merde toute la soirée. Au réveil, j’avais tout oublié et je tremblais. Je me suis réveillé mort, avec ce curieux décalage persistant qu’introduit le fait de la mort dans la perception des alentours meubles ou humains : une sorte de minéralité envahit ces événements minuscules du matin. Ivre, et nettoyé par une lucidité négative, comme dans l’horreur irréelle d’une fosse où l’on descend la tombe de celle qu’on aimait. À elle j’ai eu mal, c’est vrai, mais maintenant je perds la tête, je parle et tête ma langue, j’as peur.
Décalage insupportable que cet emmêlement décollant d’ivresse et de lucidité, comme l’effet de ces cachets qui permettent au dormeur de rêver froidement, de téléguider son rêve sans abandon possible : l’exact inverse du sentiment d’impuissance que confère l’ébriété quand il importe vraiment d’être attentif et lucide. L’acide.
Sale impression d’être coupé en deux, débité par le milieu dans le sens de la longueur, comme sur les starting-blocks quand on craint de partir avant le signal : sensation qu’une moitié du corps va démarrer trop tôt, laissant l’autre en rade. Soudain je m’aperçois que je n’ai plus de colonne vertébrale : elle est restée prise dans le matelas quand je me suis levé.
L’alcool détruit, et je ris, et voilà qu’imminemment je vais vomir de la merde.
5 mars 1992

« Mais la question qui m'tracasse… »

Ill. Erick Pardus (?)



Est-ce que tu s'ras plus dégueulasse mort que vivant ?

Trade unions

Chaque fois que j’écris en dehors, il me vient à l’esprit que ce n’est que fort récemment que j’ai appris l’absence de trait d’union entre ces deux mots, et aussi que c’est faux, comme une sensation qu’on sait pernicieuse de déjà-vu; et pourquoi ça me fait si bizarre, comme un fait frappant, le fait que dedans en dehors il n’y a rien, en dehors rien ? Il en sourd une sorte de vertige hypnotique, qui vite endort toute la réalité sous une absence-avalanche : l’orthographe est si implacable (et impalpable) qu’à l’intérieur de ce qui désigne l’extérieur il n’y a pas place pour le moindre signe, pas même pour un très fin trait — qui peut-être serait senti comme traître par l’expression, parce que rien ne peut venir réellement unir deux mots externes qui liés n’ont de sens que pour celui qui les emploie du dedans, bien au chaud dans son langage comme la langue dans la bouche, langue qui lie les aliments qui n’ont pourtant en vrai rien de commun que d’être liés dans la saveur par celui qui les avale — ou qui les goûte. Ça me dégoûte, et je voudrais pouvoir devenir un végétarien du langage — où je végète à rien.
18 novembre 1995

samedi 25 juillet 2009

Communisme balnéaire


Enfin ! Après des années d'attente et de recherche, nous retrouvons ce morceau, issu du disque Chants staliniens de France, par quelques uns qui les chantaient dans les années 50 (Expression spontanée, ES 49, 1976 [?]), grâce au judicieux choix musical de Jean-Noël Jeanneney dans son émission de ce matin.

Décochons les dards !

« L'aspirant habite Javel »

vendredi 24 juillet 2009

Gares : des larmes, hein ?


Tout est dans le regard… Les gares heureuses soupirent sur leurs quais émoussés d'amants embrassés quelle que soit l'heure : leur charmante chaleur se masse malgré le fer des caténaires qui périodiquement se rappelle à leur dernière affaire, à la chapelle de leurs bras amoureux qui pour eux sont le dernier espoir en croix de leur croyance à tout prendre. Alors le train s'ébranle, et les gestes se brusquent et les caresses (perdantes) cessent et c'est le grand départ — et demain, là-bas, il en embrassera une autre qui aura un goût différent, plus amer peut-être, tandis qu'elle, affolée de son silence meurtrier, elle lui adressera ses lettres de détresse, sans penser encore que pour elle aussi la nuit s'épaissit, tandis donc qu'elle tressera, la gorge râclée de désir, la proie de l'espoir en proue, ce qu'elle pense encore comme des amarres, faibles feux d'artifice oubliés sitôt que fissa : des parts de futur désespoir. Et plus tard, ailleurs, elle verra ses mains se multiplier inexpliquablement — mais impossible aujourd'hui de se sabler ainsi l'esprit, de penser ça : l'ablation oublieuse des temps moindres, des bourgeons qui mincissent en moignons, qui s'étrécissent au fond de la pupille qu'on croyait usée, qui s'avère rusée, resplendissante de rubis cachés. Et de nouveau, rien comprendre que se laisser avaler par la marée d'une glu inconnue et charnue. Et lui, là-bas, trop tard, fini, regrettera ces bras débarrasseurs d'angoisse, ces brassées de savoir qui valsaient encore et encore tout autour de l'église de son corps écorché, de l'écorce encrassée et cassée mais sacrée de ça, de ces caresses-là, à elle, les siennes.
GWFW, mai 1993

Garder la main

Grâce au flegme, on supporte bien des désagréments.

Contre la mouvance monarcho-monotone*

ill. Roland Topor

L’expérience paraît enseigner cependant que, dans l’intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout le pouvoir appartienne à un seul. Nul État en effet n’est demeuré aussi longtemps sans aucun changement notable que celui des Turcs et en revanche nulles cités n’ont été moins durables que les Cités populaires ou démocratiques, et il n’en est pas où se soient élevées plus de séditions. Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n’est rien pour les hommes de si lamentable que la paix. Entre les parents et les enfants il y a certes plus de querelles et des discussions plus âpres qu’entre maîtres et esclaves, et cependant il n’est pas de l’intérêt de la famille ni de son gouvernement que l’autorité paternelle se change en une domination et que les enfants soient tels que des esclaves. C’est donc la servitude, non la paix, qui demande que tout le pouvoir soit aux mains d’un seul : ainsi que nous l’avons déjà dit, la paix ne consiste pas dans l’absence de guerre, mais dans l’union des âmes, c’est-à-dire dans la concorde.
Spinoza, Traité politique, ch. VI, § 4, tr. Charles Appuhn

* Nous avons relevé cette expression chez nos camarades de ULTRAHUMANDIGNITY.

La pipeaulitique

… C’est surtout en effet quand elle se conforme au commandement de la raison que la Cité est maîtresse d’elle-même. Lors donc qu’elle agit contrairement à la raison, et dans la mesure où elle le fait, elle se manque à elle-même et on peut dire qu’elle pèche. Cela se connaîtra plus clairement si l’on considère qu’en disant que chacun peut statuer sur une affaire qui est de son ressort et décider comme il le veut, ce pouvoir que nous avons en vue doit se mesurer non seulement par la puissance de l’agent, mais aussi par les facilités qu’offre le patient. Si par exemple je dis que j’ai le droit de faire de cette table ce que je voudrai, je n’entends certes point par là que cette table mange de l’herbe. De même aussi, bien que nous disions que les hommes dépendent non d’eux-mêmes mais de la Cité, nous n’entendrons point par là que les hommes puissent perdre leur nature humaine et en revêtir une autre. Nous n’entendons point par suite que la Cité ait le droit de faire que les hommes aient des ailes pour voler, ou, ce qui est tout aussi impossible, qu’ils considèrent avec respect ce qui excite le rire ou le dégoût ; nous entendons qu’alors que, certaines conditions étant données, la Cité inspire aux sujets crainte et respect, si ces mêmes conditions cessent d’être données, il n’y a plus crainte ni respect, de sorte que la Cité elle-même cesse d’exister. Donc la Cité, pour rester maîtresse d’elle-même, est tenue de maintenir les causes de crainte et de respect, sans quoi elle n’est plus une Cité. À celui ou à ceux qui détiennent le pouvoir public, il est donc également impossible de se produire en état d’ébriété ou de nudité avec des prostituées, de faire l’histrion, de violer ou de mépriser ouvertement les lois établies par eux-mêmes, et tout en agissant ainsi, de conserver leur majesté ; cela leur est tout aussi impossible que d’être et en même temps de ne pas être. Mettre à mort les sujets, les dépouiller, user de violence contre les vierges, et autres choses semblables, c’est changer la crainte en indignation, et conséquemment l’état civil en état de guerre.
Spinoza, Traité politique, ch. IV, § 4, tr. Charles Appuhn

jeudi 23 juillet 2009

La sagesse ne viendra jamais


Avant tout cependant il faut penser au moyen de guérir l’entendement et de le purifier, autant qu’il se pourra au début, de façon qu’il connaisse les choses avec succès, sans erreur et le mieux possible. Il est par là, dès à présent, visible pour chacun, que je veux diriger toutes les sciences vers une seule fin et un seul but, qui est de parvenir à cette suprême perfection humaine dont nous avons parlé ; tout ce qui dans les sciences ne nous rapproche pas de notre but devra être rejeté comme inutile ; tous nos travaux, en un mot, comme toutes nos pensées devront tendre à cette fin.
Pendant toutefois que nous sommes occupés de cette poursuite et travaillons à maintenir notre entendement dans la voie droite, il est nécessaire que nous vivions ; nous sommes donc obligés avant tout de poser certaines règles que nous tiendrons pour bonnes et qui sont les suivantes.
I. Mettre nos paroles à la portée du vulgaire et faire d’après sa manière de voir tout ce qui ne nous empêchera pas d’atteindre notre but : nous avons beaucoup à gagner avec lui pourvu, qu’autant qu’il se pourra, nous déférions à sa manière de voir et nous trouverons ainsi des oreilles bien disposées à entendre la vérité.
II. Des jouissances de la vie prendre tout juste ce qu’il faut pour le maintien de la santé.
III. Rechercher enfin l’argent, ou tout autre bien matériel, autant seulement qu’il est besoin pour la conservation de la vie et de la santé et pour nous conformer aux usages de la cité, en tout ce qui n’est pas opposé à notre but.
Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, §§ 16-17 (numérotation Bruder), tr. Ch. Appuhn

Ces noms ont un autre sens dans l’usage courant, je le sais. Mais mon dessein n’est pas d’expliquer le sens des mots, mais la nature des choses, et de les désigner par des vocables dont le sens usuel ne soit pas complètement incompatible avec le sens que je veux leur donner dans mon usage, que cela soit dit une fois pour toutes.
Éthique, III, explication des définitions 19 et 20 des affects,
tr. B. Pautrat


Vous voulez raisonner cependant et vous me demandez comment je sais que ma philosophie est la meilleure entre toutes celles qui ont jamais été, sont et seront enseignées dans le monde. Ce serait plutôt à moi de vous poser la question. Je ne prétends pas avoir trouvé la philosophie la meilleure, mais je sais que j’ai connaissance de la vraie. Me demanderez-vous comment je le sais, je répondrai : de la même façon que vous savez que les trois angles d’un triangle égalent deux droits, et nul ne dira que cela ne suffit pas, pour peu que son cerveau soit sain et qu’il ne rêve pas d’esprits impurs nous inspirant des idées fausses semblables à des idées vraies ; car le vrai est à lui-même sa marque et il est aussi celle du faux.
Lettre LXXVI, à Albert Burgh, tr. Ch. Appuhn

mercredi 22 juillet 2009

Vivre pour la vérité


Si ce personnage fameux qui riait de tout, vivait dans notre siècle, il mourrait de rire assurément. Pour moi, ces troubles ne m’incitent ni au rire ni aux pleurs ; plutôt développent-ils en moi le désir de philosopher et de mieux observer la nature humaine. Je ne crois pas qu’il me convienne en effet de tourner la nature en dérision, encore bien moins de me lamenter à son sujet, quand je considère que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu’une partie de la nature et que j’ignore comment chacune de ces parties s’accorde avec le tout, comment elle se rattache aux autres. Et c’est ce défaut seul de connaissance qui est cause que certaines choses, existant dans la nature et dont je n’ai qu’une perception incomplète et mutilée, parce qu’elles s’accordent mal avec les désirs d’une âme philosophique, m’ont paru jadis vaines, sans ordre, absurdes. Maintenant je laisse chacun vivre selon sa complexion et je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu’ils croient être leur bien, pourvu qu’il me soit permis à moi de vivre pour la vérité.

B. de Spinoza, Lettre XXX, à Oldenburg [octobre 1665], trad. Ch. Appuhn

« L'étant t'accule »

… aurait pu dire Martin Heidegger ou un marchand de tapis né à Tunis.


Dans la mesure où l’être constitue le questionné et où être veut dire être de l’étant, c’est l’étant lui-même qui apparaît comme l’interrogé de la question de l’être. C’est lui qui, pour ainsi dire, a à répondre de son être. Mais s’il doit pouvoir révéler sans falsification les caractères de son être, il faut alors que, de son côté, il soit d’abord devenu accessible tel qu’il est en lui-même. Du point de vue de son interrogé, la question de l’être exige l’obtention et la consolidation préalable du mode correct d’accès à l’étant. Seulement, nous appelons « étant » beaucoup de choses, et dans beaucoup de sens. Étant : tout ce dont nous parlons, tout ce que nous visons, tout ce par rapport à quoi nous nous comportons de telle ou telle manière — et encore ce que nous sommes nous-mêmes, et la manière dont nous le sommes. L’être se trouve dans le « que » et le « quid », dans la réalité, dans l’être-sous-la-main, dans la subsistance, dans la validité, dans l’être-là [existence], dans le « il y a ». Sur quel étant le sens de l’être doit-il être déchiffré, dans quel étant la mise à découvert de l’être doit-elle prendre son départ ? Ce point de départ est-il arbitraire, ou bien un étant déterminé détient-il une primauté dans l’élaboration de la question de l’être ? Quel est cet étant exemplaire et en quel sens a-t-il une primauté ?
Martin Heidegger, Être et temps, § 3 (trad. E. Martineau)

jeudi 16 juillet 2009

« Les tentacules »

Sans commentaire, sinon ce rappel : c'est à l'Anonyme historique que nous devons cette contrepèterie.

Abasourdissante vie moderne !


Tel était l'intitulé du message que j'expédiai le 17 juillet 2008 à l'adresse les.moissonneuses@hotmail.fr :
Bonjour,

Effectuant hier une recherche sur Google à propos de Julien Coupat, je découvre par hasard votre séduisant site dont l'exacte vocation ne laisse cependant pas de m'échapper (mais je n'ai pas encore eu le temps d'en consulter l' intégralité), et puis voilà qu'un client entre dans ma boutique et m'offre La minute prescrite pour l'assaut de Jérôme Leroy. Je ne connais pas l'auteur, mais le titre et le prière d'insérer m'allèchent. J'en entreprends la lecture hier soir, et tombe p. 52 sur… Alfredo Smith-Garcia, pseudonyme de Kléber sur le site bellement nommé La kolkhozienne aux seins nus !
Etonnant, non ? comme aurait dit M. Cyclopède.
Cela fait donc exactement un an que j'ai mis le doigt dans l'engrenage de l'enfer des blogues…

mercredi 15 juillet 2009

Questions stupides et cruciales

Les livres qu'on veut lire importent-ils moins que ceux qu'on a lus ?
Les litres qu'on va boire importent-ils moins que ceux qu'on a bus ?

Le festival du roman noir

Notre ami Edmond Gropl ayant eu l’amabilité de publier sur le site Noir Bazar cette nouvelle pour le moins drue, nous avons le plaisir de la reprendre ici, pour la soumettre au jugement de nos honorables visiteurs.
J’en profite pour signaler que cet auteur a réussi un exploit assurément inédit : après avoir, voici une quinzaine d’années, mis un point final à son dézinguant premier roman — qui remuait vigoureusement une boue que certains notables du Sud-Ouest eussent préféré voir sécher —, il l’a fait imprimer puis en a à lui seul patiemment écoulé les huit cents exemplaires, au fil des étals du bouquiniste ambulant qu’il était alors. Il est ainsi le seul écrivain que je connaisse à avoir pratiqué la concentration verticale intégrale, au point de pouvoir identifier, sinon tous ses lecteurs, du moins tous les acheteurs de son roman. Roman qui lui valut d’ailleurs d’être invité à l’une des premières éditions du festival de Frontignan, où bien entendu nul ne l’avait lu, ce qui déboucha sur une dérive salement alcoolisée en compagnie de Sergueï Dounovetz.
La semaine prochaine, on vous racontera comment l’invitation du mystérieux Alassane Fingerweig (auteur au Serpent Noir du bourre-pifant La boucherie est une science exacte) à un festival corse du polar faillit tourner pour lui en sanglante (façon boudin de sanglier) précipitation dans les pires péripéties de son récit.

Le festival du roman noir

I.

À sept heures du matin, j’ai reçu le premier coup de téléphone :
— Allô ?
— Norbert ?
— Oui.
— J’ai bien connu ton frère tu sais.
— Vous êtes qui ?
— Pas d’importance. Tu es allé trop loin, beaucoup trop loin. J’appréciais ton frère, comme beaucoup de personnes ici, mais toi, écoute bien, tu es pas la personne qui peut donner des leçons, tu me comprends hein ?
— Qui vous êtes ? bon dieu !
— T’as pas à le savoir. Je vais te donner un bon conseil, prends tes saletés de bouquins, fais un tas au bord de la route, fous le feu et tire-toi.
— Sinon ?
— Sinon t’es mort.

Il a raccroché. J’ai fait du café et je l’ai bu en m’asseyant sur un carton de livres. À nouveau le téléphone a sonné.

— Oui ?
— C’est toi Norbert ?
— …
— C’est Tonio, Pourquoi t’es revenu ? Hein ?
— Laisse-moi tranquille, Tonio.
— Moi, je vais te laisser tranquille, au nom de notre ancienne amitié, mais j’en connais d’autres qui vont pas te lâcher. Zok te laisse jusqu’à midi pour partir. Il plaisante pas. Considère qu’il te fait une faveur. Midi, et ne reviens jamais.
— C’est tout ce que t’as à me dire ?

Au milieu du séjour, dix cartons de vingt livres, par paquets de cinq emballés sous plastique. J’en avais envoyé un à chaque personne concernée. À présent, ils me menaçaient.
J’avais dû taper juste. Le livre s’appelait La vérité sur la mort de Richard X. Richard était mon frère. On l’a retrouvé gisant dans cette pièce. Overdose. Lui qui entraînait les jeunes au foot et qui n’avait jamais même tiré sur un joint.

— Allô ?
— Norbert, c’est moi.
— Qui, toi ?
— Ton vieil ami, Marini.
— Salaud.
— J’ai lu ce que tu as écris sur moi.
— C’est toi qu’a shooté Richard.
— Arrête, tu dis n’importe quoi. Tu as écrit des belles saloperies sur mon compte. Je suis pas rancunier, je mets ça sur le compte de ta douleur. Tiens, je t’ai fait un cadeau. Cinq grammes, non coupé, c’est dans ta boîte à lettres. Et si t’en veux encore, tu sais où me trouver.

Je me suis douché et rasé. J’ai pris un costume de Richard, celui qu’il portait quand il y avait des réceptions à l’antenne de la mairie. J’ai poussé tous les cartons vers la porte. Sur le palier, un gamin de dix ans était assis dans un angle. Envoyé par un lieutenant de Zok, chargé de me surveiller, il n’a pas baissé les yeux.
J’ai traîné les cartons devant l’ascenseur. J’ai pris mes deux valises. Le téléphone a sonné.

— Allô ?
— Norbert.
C’était ma mère.
— Norbert, il faudrait que tu viennes voir ton père, Hôpital-Est chambre 708.
— Maman, ça fait plus de quinze ans.
— Il en a plus pour longtemps, viens.
— Je viendrais ce soir. Tard.
— Tu viendras ?
— Oui.
— Tu vas pas… faire des bêtises ?
— Non, maman, je vais à Frontignan pour les livres, et je reviens, promis.

En bas, une dizaine d’adolescents entourait ma voiture. Ils se sont écartés sans bruit. Plus loin, appuyés sur les jeux d’enfants, des plus grands qui m’observaient. J’ai chargé les cartons dans le coffre. J’ai ouvert la boîte à lettres. Un petit sachet de poudre blanche avec un post-it. « Pour Norbert, Cadeau ». J’y ai pas touché.
J’ai quitté la cité. Des dizaines d’yeux ont suivi la voiture. Le poids de leur regard m’a oppressé longtemps.

* * * *

Il y a trois mois, j’ai vu le Suzuki de Burgos, le responsable du chantier sylvicole de l’association « Horizon-espoir » arriver par la piste. Je venais de débiter un chêne et j’m’apprêtais à débarder des tronçons de quatre-vingt kilos.
Burgos a stoppé le 4/4 près de la cabane et m’a fait signe de descendre avec le matériel. J’ai pris la tronçonneuse, la sacoche et le bidon de mélange.
Il m’a dit :
— Ta mère a appelé. Ton frère est mort. Overdose. Si tu dois péter un câble, fais-le tout de suite.

Plus tard, dans son bureau, j’ai téléphoné. Ma mère était dans tous ses états, elle ne cessait de répéter « c’est injuste, il n’avait jamais touché à la drogue, c’est vraiment injuste… » Ce qui voulait dire que c’était injuste que ce soit lui qui meure et moi qui vive.
Burgos était assis, les bras croisés, le regard fixe :
— Tu dois aller voir ta famille, je vais t’accompagner.
— Non, ça ira, je peux y aller seul. Je crois que je peux.
— Norbert, tu as passé douze ans dans la poudre, deux ans de cure et ça fait six ans que t’es en post-cure avec nous. Si tu retouches au produit, ton corps ne le supportera pas.
— Je crois que je suis assez fort, maintenant.
— Tu es assez fort tant que tu es dans la forêt. Comment tu vas gérer tes émotions ? On va prendre le minibus, on va tous venir avec toi.
— Non, je dois y aller seul.
— C’est toi qui vois.

À l’enterrement, on était pas nombreux. Ma mère, quelques jeunes du foot, deux ou trois responsables associatifs. Mon père était à l’hôpital, ça valait mieux que je le vois pas. Je lui en avais vraiment fais baver. Toute la cité savait à quel point j’avais fait vivre l’enfer à ma famille. Je m’attendais pas pour autant à être pardonné, ça n’aurait eu aucun sens. Alors personne ne m’a parlé, sauf un jeune que je connaissais pas. Après la cérémonie, il m’attendait à la sortie du cimetière, il m’a donné une grosse enveloppe : « Richard m’avait dit de te donner ça, au cas où il lui arrive quelque chose ». C’est tout ce qu’il m’a dit.

Le soir même, dans l’appartement de Richard (ma mère m’avait chargé de m’occuper de ses affaires), j’ouvrais l’enveloppe. À l’intérieur, un texte imprimé d’une quarantaine de feuilles et quelques mots manuscrits : « Norbert, j’aimerais que tu lises ça. Tu décideras quoi en faire. Ton frère qui t’aime. Richard ».

Il y a six mois de cela, un jeune nommé Basile était battu à mort dans une cave de la cité. Ce jeune faisait partie de l’équipe qu’entraînait Richard. Il avait eu auparavant des problèmes avec les dealers du quartier.

Richard dit tout dans son texte. Il met en cause Zok et Marini. Il dit pas que c’est eux qui ont battu le jeune Basile mais il explique clairement comment on en est arrivé là. Il dit que c’est eux qui tiennent toujours le marché de la drogue. Bon sang ! Zok et Marini, c’est eux qui, déjà à l’époque, dealaient l’héroïne. Je ne dirais pas que c’était mes amis, mais je les ai bien connus. C’est des notables maintenant.
À l’époque, j’avais fais les pires saloperies aux gens qui m’aimaient pour pouvoir m’acheter une dose, volé les étrennes de mon petit frère, les roues de la voiture à mon père, les économies de ma mère, ça c’est rien, j’ai fait bien pire encore.
Aujourd’hui, Zok possède trois salles de sport et deux brasseries au centre-ville, Marini à une concession Mercedes et a posé sa candidature aux municipales.

D’abord, j’ai scotché sur les murs de l’appartement une trentaine de feuilles blanches sur lesquelles j’ai inscrit des phrases thérapeutiques comme : « n’y touche pas », « prends la mesure du temps », ou simplement : « la poudre, c’est la mort ».
Ensuite j’ai retravaillé le texte, j’ai ajouté à l’enquête de Richard ce que moi je savais ; des anecdotes vécues, des trucs sur Zok et Marini que je suis le seul à savoir. Au final, ça faisait un sacré bon texte : vingt ans de la vie du quartier, l’ascension de deux malfrats et l'assassinat d'un Juste. De la bombe.

J’ai vendu toutes les affaires de mon frère, et avec les deux mille euros, j’ai fait imprimer deux cent cinquante exemplaires du texte de Richard. J’en ai envoyé une cinquantaine aux gens concernés : Zok, Marini, les gens de la cité, les gens de la mairie, la police, les journalistes…
Et puis je suis tombé sur une affiche du festival du roman policier de Frontignan, c’est pas loin, je me suis dit que je pourrais y aller.

* * * *

II.

Un premier type s’est approché et a jeté un œil circonspect sur mes cartons de livres. Il s’est saisi d’un exemplaire, l’a retourné plusieurs fois dans ses mains et l’a ouvert en le tenant près de son nez. Puis il l’a reposé le livre et s’est barré.

Je m’étais installé sur un bout de trottoir, à quelques mètres de la tente où une trentaine d’auteurs présentaient leurs bouquins. Je pensais m’installer parmi eux mais un gars de l’organisation m’a gentiment refoulé en prétextant que je n’avais pas été invité. Il m’a proposé de me mettre à l’entrée en disant « Comme ça, t’es dans le festival Off ». Alors j’ai posé mes cartons et j’ai attendu debout. J’en étais à me demander ce que je foutais là lorsqu’un autre gars s’est approché. Il a pris un livre en main et comme le client précédent l’a observé sous toutes ses coutures. Puis il m’a demandé d’un air suspect :
— C’est une auto-édition ?
— C’est-à-dire ?
— Eh bien, vous avez un éditeur ?
— Comment ça un éditeur ?
— Vous l’avez imprimé à vos frais.
— Ah oui ! J’ai porté les feuilles à Serge, un collègue, il est imprimeur. Il m’a fait une facture et j’ai payé.
— Il vous a salopé le travail, l’ami Serge, regardez, c’est imprimé de travers.
Il m’a montré. En effet, le texte était un peu de biais et sur le bas, les phrases n’étaient pas complètes. Il manquait un ou deux mots, mais c’était pas sur toutes les pages.
— C’est pas très grave.
— Quand même ! a repris le gars. Vous le vendez combien ?
Je n’avais pas réfléchi à ça :
— Je sais pas, dix euros.
— Ça parle de quoi ?
— C’est mon frère. Il est mort d’une overdose. La vérité c’est qu’il a été assassiné par Marini. Il m’a laissé un dossier. Je raconte tout dedans, c’est que la vérité.
— C’est de l’autofiction ?
— C’est la vérité. Zok et Marini tiennent le business de la cité depuis plus de vingt ans. Mon frère a les preuves que c’est eux qui ont commandité l’assassinat de Basile.
Le type m’a dit « bien » et il a reposé le livre. Je lui ai proposé :
— Cinq euros si vous voulez.
— Non, je m’intéresse qu’aux œuvres de fiction.
— Prenez-le, gratuit.
— Non, je veux pas m’emba…
— Prends-le ! je te dis.
Le gars a fait mine de partir. Je l’ai pris par le bras et lui ai fourré un livre dans son sac.
— Bon dieu, je te dis que c’est la vérité. Tu prends ce livre et tu fermes ta gueule.
— Ok ! ça va ? je le prends, je le lirai.
— Ben voilà.
Il est parti. Je me suis demandé s’il n’allait pas le jeter dès qu’il aurait disparu de mon champ de vision.
J’avais élevé la voix et du coup, un petit attroupement se tenait à deux mètres de mes cartons. J’ai repris :
— Mesdames et messieurs, le livre que je vous propose, c’est juste la vérité sur la mort de mon frère. Prenez-le ! lisez le ! C’est pas pour la thune, c’est gratuit.
Comme personne bougeait, j’ai pris quelques exemplaires et j’ai voulu leur donner. Certains ont accepté en souriant mais d’autres s’éloignaient, j’étais obligé de les rattraper. Ça a commencé à m’énerver. Une jeune fille un peu zonarde m’a dit :
— Soyez pas agressif comme ça ! Moi je vous l’achète.
— Non, cadeau.
— Je vous offre une bière alors !
— D’accord.
Elle est revenu cinq minutes plus tard avec deux canettes de 50 cl. Elle m’en a donné une, s’est assise sur le trottoir et a commencé à lire mon livre. J’ai ouvert la canette et je me suis enfilé une bonne rasade.
À l’association « Horizon espoir », l’alcool était bien évidemment interdit. Ça faisait donc plus de huit ans que j’en avais pas bu. J’ai terminé la canette et j’ai senti la chaleur de la bière me monter au cerveau. Je suis vite allé en acheter deux autres. Je pensais en donner une à la jeune fille mais elle était absorbée par sa lecture et n’avait même pas ouvert la sienne. J’ai donc bu les deux. Les choses ont commencé à s’éclaircir.
— Cool ton livre ! c’est vachement bien, m’a dit la fille, sans relever la tête.
La situation devenait limpide. J’étais là, debout derrière mes cartons. Des gens s’approchaient. Je leur disais de se servir. Deux ou trois m’ont posé des questions mais j’ai eu du mal à répondre. J’avais la tête ailleurs. Je me contentais de dire :
— Prenez le livre, gratuit ! C’est une histoire vraie.
Je le distribuais, les gens me souriaient. J’étais zen. La vérité était ailleurs. Elle commençait à se formaliser dans mon esprit apaisé.
— Putain, c’est trop bien ! s’exclama la jeune fille en me souriant.
— Oui, merci.
C’est trop bien…oui, et ce qui était surtout trop bien, c’est qu’il y avait cinq grammes de poudre blanche, non coupée qui m’attendaient sagement dans la boîte aux lettres. Gratuit.

* * * *

— Occupe-toi des livres, je reviens.
La jeune fille était d’accord.
J’ai racheté quatre canettes, pris la voiture et j’ai foncé sur cent cinquante kilomètres. Je suis arrivé à la cité en moins de deux heures. Je me suis rué sur la boîte aux lettres. Le sachet étincelait.
Je suis monté dans l’appartement. Le gamin était toujours là. Je l’ai salué, il a pas bougé les lèvres.
Bon sang ! J’étais rayonnant.
Mais je compris vite que l’appartement de Richard était bien le dernier endroit où je pouvais trouver une seringue.

* * * *

Ma mère m’a regardé, elle avait envie de pleurer. Ça se voyait, même si elle essayait de le cacher. On s’est embrassé avec distance. Elle m’a juste dit :
— T’es pas drogué au moins ?
— Non maman, j’ai juste bu de la bière.
— C’est bien d’être venu. Ton père t’attend. C’est une question d’heures.
Je suis entré dans la chambre. La dernière fois que je l’avais vu, c’est il y a plus de quinze ans. C’était un gaillard. Il tenait un fusil. « Ne remets plus les pieds ici, Norbert, ou je te tue ».
À présent, il était au bout du rouleau.
— Approche, Norbert.
— Papa !
— J’ai lu ton livre. Je suis fier de toi.
— Il y a pas de quoi, Papa.
— J’ai peut-être fait des erreurs avec toi Norbert.
— Je crois pas. Je vous en fais baver.
— C’est pas toi, c’est la drogue. Tu n’en prends plus ?
— Non, papa, depuis presque huit ans.
— En tout cas, t’as pris des risques. Zok et Marini vont vouloir ta peau. Mais je suis fier de toi mon fils. Je suis fier de toi.
— Papa !
Il s’est mis à tousser comme un diable. Je suis sorti.
— Maman, papa se sent mal.
Elle est rentrée. Je suis tout de suite allé voir les infirmières. Je connais bien les hôpitaux.
— Vite, mon père est en train de mourir.
Les deux infirmières sont sorties en trombe. Je suis entré dans leur bureau. Je savais exactement où se trouvaient les seringues.

mardi 14 juillet 2009

Charlie Schlingo était-il poète ?

Telle est la question débile que pose pertinemment et en toute modestie David Turgeon sur cette intéressante page, où il se livre à un audacieux rapprochement entre les regrettés Schlingo et Chaland, desquels il redémontre, si besoin était, l'étrange et nouveau génie.
Autant Chaland que Schlingo travaillent à partir de leurs lectures, oui, mais en faisant revivre non pas la forme des aventures qu’ils ont lues mais des aspects a priori secondaires : onomatopées, acolytes, conventions, éléments de décor. Il s’agit autant de mettre en veilleuse les grands vecteurs du récit (que de toute manière nous connaissons par cœur) que de faire ressortir des objets banals dont nous n’avions jamais remarqué à quel point ils étaient obsédants, essentiels.

Hé, ducon !

Jeudi : maths, littérature et cours d’antiterrorisme.
Meade High School, dans le Maryland, est l’un des premiers lycées du pays à proposer un cours de quatre ans sur la sécurité intérieure. But du jeu : aider ses élèves à faire carrière dans l’un des rares créneaux porteurs des Etats-Unis.
Courrier International (Los Angeles Times), 25/06/09, p. 55

Brave New World


« Quelqu’un qui te donne ses papiers ici, c’est comme si la personne, quand une balle veut t’atteindre, elle se met entre toi et la balle. »
Martin, 46 ans, travailleur malien sans-papiers

On l'entend dire cela à la seizième minute de l'émission Les pieds sur terre du 27 janvier 2009 qui était rediffusée aujourd'hui à 13h 30.

lundi 13 juillet 2009

Là, tout hâle d'art est nié


Et ma blême araignée, ogre illogique et las,
Aimable, aime à régner au gris logis qu'elle a.

Victor Hugo

… lorsqu’il voulait se relâcher l’esprit un peu plus longtemps, il cherchait des araignées qu’il faisait battre ensemble, ou des mouches qu’il jetait dans la toile d’araignée, et regardait ensuite cette bataille avec tant de plaisir, qu’il éclatait quelquefois de rire.
Jean Colerus, La vie de B. de Spinoza