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dimanche 26 avril 2009

« Courir », ça marche.

Les Allemands sont entrés en Moravie. Ils y sont arrivés à cheval, à moto, en voiture, en camion mais aussi en calèche, suivis d’unités d’infanterie et de colonnes de ravitaillement, puis de quelques véhicules semi-chenillés de petit format, guère plus. Le temps n’est pas venu de voir de gros panzers Tiger et Panther menés par des tankistes en uniforme noir, qui sera une couleur bien pratique pour cacher les taches d’huile. Quelques Messerschmitt monomoteurs de reconnaissance de type Taifun survolent cette opération mais, seulement chargés de s’assurer de haut que tout se passe tranquillement, ils ne sont même pas armés. Ce n’est qu’une petite invasion éclair en douceur, une petite annexion sans faire d’histoires, ce n’est pas encore la guerre à proprement parler. C’est juste que les Allemands arrivent et qu’ils s’installent, c’est tout.
Le haut commandement de l’opération se déplace en automobiles Horch 901 ou Mercedes 170 dont les vitres arrière, obturées par des rideaux gris finement plissés, ne laissent pas bien distinguer les généraux. Plus exposées, les calèches sont occupées par des officiers moins gradés à long manteau, haute casquette et croix de fer serrée sous le menton. Les chevaux sont montés par d’autres officiers ou remorquent des cuisines de campagne. Les camions transporteurs de troupes appartiennent au modèle Opel Blitz et les motos, des side-cars lourds Zündapp, sont pilotées par des gendarmes casqués à collier métallique. Tous ces moyens de transport s’ornent d’oriflammes rouges à disque blanc contenant cette croix noire un peu spéciale qu’on ne présente plus, et que les officiers arborent aussi sur leurs brassards.
Quand tout ce petit monde, il y a six mois, s’est présenté dans les Sudètes, il a été plutôt bien reçu par les ressortissants allemands de la région. Mais à présent, passée la frontière de Bohême-Moravie, l’accueil est nettement plus froid sous le ciel bas et plombé. À Prague, le petit monde est entré dans un silence de pierre et, dans la province morave, les gens ne sont pas non plus massés au bord des routes. Ceux qui s’y sont risqués considèrent ce cortège avec moins de curiosité que de circonspection sinon de franche antipathie, mais quelque chose leur dit qu’on ne plaisante pas, que ce n’est pas le moment de le faire voir.

[…]

Les Soviétiques sont entrés en Tchécoslovaquie. Ils y sont arrivés par avion et en chars d’assaut. D’abord par un vol de l’Aeroflot d’où un groupe de parachutistes en civil, appartenant aux unités d’élite Spetsnaz, est discrètement descendu pour prendre le contrôle de l’aéroport de Prague. Puis par d’autres avions frappés de l’étoile rouge, des chasseurs Mig et de gigantesques Antonov An-12 contenant du matériel lourd ainsi que la 103e division aéroportée de la Garde. Celle-ci s’est mise en mouvement vers le centre de Prague, investissant en chemin le palais présidentiel. Puis sept mille unités blindées mécanisées des troupes du pacte de Varsovie, massées aux frontières du pays, ont convergé vers sa capitale pour l’investir avec cinq cent mille soldats.
Ce sont des chars de modèle T-54, T-55 et T-62, et les Spetsnaz sont équipés de pistolets Makarov, de fusils d’assaut AK-47 ou de leurs variantes à crosse pliable, de mitrailleuses légères RPK-74, de fusils de précision SVD Dragunov et de lance-grenades monocoup AGS-17. On pourrait juger un tel arsenal approprié à une guerre ou à une invasion, mais pas du tout. Il ne s’agit pas non plus d’une petite annexion en douceur comme il y a trente ans, non. Il s’agit juste de ce que les Soviétiques viennent mettre un peu d’ordre dans un régime dont ils se pensent maîtres, dont l’évolution actuelle leur apparaît comme une fâcheuse dérive et qu’il convient de normaliser rapidement. Ils arrivent donc avec les armées de cinq pays du pacte et ils s’installent, voilà tout.
Une dizaine d’heures suffisent pour que la ville tombe aux mains des parachutistes puis, après que la jonction avec les forces terrestres s’est réalisée, les chars soviétiques pénètrent Prague en force. Après quoi c’est en moins de vingt-quatre heures que s’effectue l’occupation physique du pays.
Quand ce petit monde entre dans Prague, ce n’est pas glacial qu’est l’accueil, c’est aussitôt hostile et résistant. On se rassemble en pleine nuit sur la place Wenceslas pour faire face aux T-55 stationnés çà et là, moteurs ronflants. Quand leurs conducteurs tentent de s’en extraire, ils sont accueillis par des huées gigantesques. Puis, tirées depuis les toits du Musée national, quelques balles viennent bientôt s’écraser sur la carapace des chars. Les tankistes regagnent précipitamment leurs habitacles, les capots se referment, les tourelles tournent sur elles-mêmes, tous les blindés se mettent à tirer à la fois. Les vitrines du musée explosent, des fragments de façades s’effondrent.
Cependant que des échos de rafales, mitrailleuses et pistolets-mitrailleurs, commencent de claquer un peu partout en ville, les manifestants se ruent maintenant vers l’immeuble de la radio qui continue d’émettre et dans la direction duquel progressent aussi les chars. Tirant d’abord en l’air puis de plus en plus bas, ils bousculent, défoncent, écrasent les voitures garées là, frayant un chemin aux fantassins chargés de l’occupation de l’immeuble. Puis la radio est occupée à huit heures du matin, les émissions des studios réguliers sont coupées. C’est réglé.

Jean Echenoz, Courir, Éditions de Minuit, 2008, pp. 7-9 et 135-137

2 commentaires:

  1. C'est bien. Et puis Manchette n'est pas loin, avec ces descriptions et certaines tournures. Echenoz, c'est bien.

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  2. C'est bien mon avis. Il me semble que Manchette a même consacré une ou deux chroniques à expliquer son souci de la précision des modèles d'armes, et la raison pour laquelle il truffait ses textes des appellations commerciales des objets industriels ou de consommation.

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