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jeudi 25 février 2010

Prière de serrer

Pendant neuf ans, j'ai rédigé la quasi-totalité des prières d'insérer des éditions Plon. Exercice difficile, que j'ai toujours trouvé amusant et qui m'a beaucoup appris.
Lorsqu'il s'est agi de faire celui — ou celle — de mon roman Le Roi des aulnes, j'ai fait appel — comme vous pensez bien — à toute mon expérience, et j'ai travaillé trois semaines avec acharnement à ce qui devait couronner ma carrière de « prière d'insériste ». Il en est résulté un texte de trois feuillets dactylographiés, longueur pour le moins inhabituelle en ce genre de choses. Un peu inquiet, je l'ai adressé à Claude Gallimard avec une lettre où je lui disais à peu près ceci :
« Cher ami. Ci-joint le prière d'insérer du Roi des aulnes. Évidemment, il est un peu long. En revanche, il est si précis, complet, dense et suggestif que je vous propose de mettre au panier l'énorme manuscrit que je vous ai donné et d'imprimer ce petit texte en lieu et place — évidemment sur papier couché avec des caractères de luxe. Les lecteurs n'y perdront rien, au contraire ils y gagneront beaucoup de temps. »
On peut dire ce que l'on veut de Claude Gallimard. C'est en tout cas le seul éditeur que je connaisse qui réponde toujours vite et très précisément aux lettres. Par retour du courrier il m'a avisé qu'il était désolé, qu'il aurait bien volontiers accepté ma proposition, mais qu'il venait de supprimer les prières d'insérer et que Le Roi des aulnes serait précisément le premier roman de sa maison à bénéficier — si l'on peut dire — de cette mesure. En revanche, il me demandait de réduire mon texte à un quart de sa longueur pour garnir les rabats de jaquette du livre. Petit travail qui m'a pris trois nuits blanches.
Alors, me direz-vous, ce fameux prière d'insérer ? Eh bien, il n'a pas été perdu pour tout le monde. Je l'ai publié moi-même sous un nom de fantaisie comme critique du Roi des aulnes dans un journal où j'ai des accointances. Je ne vous dirai pas lequel. C'est le plus beau fleuron de mon Pressbook.

Lettre de Michel Tournier à Jacques Brenner du 8 décembre 1973, citée par ce dernier dans Tableau de la vie littéraire en France d'avant-guerre à nos jours, Luneau Ascot, 1982, p. 107

dimanche 21 février 2010

La numérologie relève de la superstition


Cela fait aujourd'hui 333 ans que Spinoza a cassé sa pipe.

L’hôte étant retourné au logis après le sermon, à quatre heures ou environ, Spinoza descendit de sa chambre en bas, et eut avec lui un assez long entretien qui roula particulièrement sur ce que le ministre avait prêché, et après avoir fumé une pipe de tabac, il se retira à sa chambre, qui était sur le devant, et s’alla coucher de bonne heure. Le dimanche au matin, avant qu’il fût temps d’aller à l’église, il descendit encore de sa chambre et parla avec l’hôte et sa femme. Il avait fait venir d’Amsterdam un certain médecin, que je ne puis désigner que par ces deux lettres, L. M. ; celui-ci chargea les gens du logis d’acheter un vieux coq, et de le faire bouillir aussitôt, afin que sur le midi Spinoza pût en prendre le bouillon ; ce qu’il fit aussi, et en mangea encore de bon appétit, après que l’hôte et sa femme furent revenus de l’église. L’après-midi, le médecin L. M. resta seul auprès de Spinoza ; ceux du logis étant retournés ensemble à leurs dévotions. Mais au sortir du sermon, ils apprirent avec surprise que sur les trois heures Spinoza avait expiré en la présence de ce médecin…

Jean Colerus, La vie de B. de Spinoza

mardi 16 février 2010

Devenez vous-même con !

La campagne d'affichage de l'armée de terre qui s'étale actuellement sur les murs de nos villes est d'une confondante sincérité : les publicitaires de l'état-major nous enjoignent ingénument de venir partager leur apopleptique connerie contagieuse !

Seul problème : eux-mêmes sont tellement cons qu'ils n'accordent plus aucune importance à l'orthographe…

« J’ai bien l’honneur, chez moi, dans ce livre, à cette place, de dire que, très consciemment, je conchie l’armée française dans sa totalité. »

Louis Aragon, Traité du style, Gallimard [1928],
coll. « l’Imaginaire », 2000, p. 236.

lundi 15 février 2010

Peaux de bananes


Navré de vous avoir fait faux bond la semaine dernière : ce sont l'irruption et la submersion de Charlie matin qui, bouleversant les délais et bousculant les personnes et vice versa, ont mis le désordre. Au fait, si vous avez lu ce quotidien et si, comme nous, vous avez jugé hâtive et débile la plaisanterie consistant à y rendre compte, en mauvais français, et avec une niaiserie augmentée, de films qui n'existent pas, vous serez stupéfaits comme nous-mêmes en apprenant que ça a marché : des gens se sont bel et bien rendus en banlieue à dix heures et demie du soir, dans le froid et la pluie, à la recherche d'une salle qui n'existe plus depuis des années, avec l'espoir de voir là un film féministe ukrainien non sous-titré. Et même ils ont plus tard téléphoné au journal, non seulement pour se plaindre, mais — jésus hache christ ! — pour demander qu'on leur indiquât tels autres lieu et heure où ils pourraient se déranger de nouveau, à la recherche de ce film. Et il apparaît ainsi que les limites de la connerie culturiste ne sont pas, elles non plus, où l'on espérait qu'elles étaient; et après une sorte d'hilarité, nous éprouvons donc une espèce d'effroi¹.
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1. L'objection selon laquelle nous aurions égaré ainsi, cruellement, d'éventuels réfugiés ukrainiens, ne tient pas : le titre original, d'ailleurs grotesque, était en serbo-croate; les noms propres cités et le résumé de l'intrigue étaient, à l'évidence, géorgiens. Seuls des idiots militants ont pu se laisser prendre. Nous rions d'eux.
Jean-Patrick Manchette, Charlie Hebdo n° 541 (25 mars 1981)

Le précédent billet était paru dans le très éphémère quotidien Charlie Matin, n° 1, le 16 mars 1981.
Ces textes ont été réédités dans le recueil Les Yeux de la momie, Rivages/Écrits noirs, 1997, p. 369 et 371.
Toutes nos excuses à P. M.

jeudi 11 février 2010

À ne rater sous aucun prétexte !

La jeune femme qui pleure derrière les bouleaux (Partija alehinke i pircevke i nimcoviceve indijke), de Nona Gaprindashvili, constitue le tout premier témoignage cinématographique sur les luttes des femmes en Ukraine. Mais il n'a pas seulement le mérite d'exister. Sur un scénario volontairement simple (des vignerons apparemment généreux ne peuvent supporter qu'une étrangère au village se refuse à eux pendant la nuit des vendanges et, après une parodie de procès, la noient dans un pressoir), Nona Gaprindashvili réalise à la fois un hymne à la nature (les éclairages de la chef opératrice Maïa Chiburdanidze sont stupéfiants), une critique en demi-teinte non seulement du stalinisme mais aussi bien de l'instinct de domination en général. C'est par là qu'elle touche. Il ne faut pas manquer la projection exceptionnelle organisée ce soir à 22h30 au Malakoff-Palace (métro Plateau-de-Vanves), 36, rue Raymond-Passin, quoique les sous-titres absents soient remplacés par une interprétation simultanée.

samedi 6 février 2010

Comptons les poux, hein ?

Marx n’aurait certes jamais versé dans le sociétal, mais plein de bien intentionnés garnis d'œillères qui jugent un peu trop vite tel ou tel raciste, phallocrate, antisémite ou politiquement peu correct d’une manière ou d’autre estimeraient sans doute très homophobe cette douce chanson de Guy Béart qui exalte l’attrait pour l'autre :



Je ne fais jamais de politique, mais quant à ce billet du FQG, je souscris entièrement aux pertinents commentaires du bon docteur Petiot, euh… non (saperlotte ! pardon…), Filegoude, et de Jean-Marc Laherrère.

mercredi 3 février 2010

Le point de non-retour




Ce passage est extrait du magnifique film d'Alain Tanner, Charles mort ou vif (1969), dans lequel ou peut entendre, vers la fin, cette phrase d'une terrible actualité :
La violence de l'oppression n'a plus besoin de visage; elle n'a même plus besoin de fusil.

lundi 1 février 2010

Passage du Khmer rouge


À mes yeux d'apostat, l'incendie de quelques monuments publics et d'un petit nombre de propriétés privées, la chute de la Colonne, l'égorgement de plusieurs centaines d'ennemis du peuple et quelques autres facéties connues de toute la terre furent des résultats extrêmement pitoyables et tout à fait indignes de la justice des révolutions qui se respectent.
Moi, j'avais rêvé mieux. Les trois cent mille têtes du citoyen Marat ne m'auraient pas suffi et le pétrole aurait vainement sollicité mon suffrage. L'égalité démocratique prise du plus bas possible devait, selon mes vues, réaliser un niveau social tel qu'il ne restât plus sous le soleil que les Bourbeux et les Croupissants. Ma ligne idéale d'élagation partait comme une flèche topographique, de l'aristocratie présumée des vertus, c'est-à-dire du sacerdoce, et s'en allait rigidement, après avoir passé par l'aristocratie de l'argent qui disparaissait dans la Mer rouge, jusqu'à l'aristocratie du Goujatisme triomphant et jusqu'aux hauts barons de la Crapule héréditaire.
Toute supériorité, tout relief humain devait tomber, s'engouffrer et périr dans le cloaque d'une promiscuité définitive dont les plus audacieux utopistes de la fraternité révolutionnaire n'avaient pas osé rêver l'avènement.

Léon Bloy, Propos d'un entrepreneur de démolitions

Ce billet nous a été communiqué par notre (fort peu) honorable correspondant aux éditions Sao Maï, M. Laurent Zaïche.