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vendredi 20 août 2010

Lumineux Echenoz


Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c’est possible. On aime mieux être au courant de l’instant chiffré où ça démarre, où les affaires commencent avec l’air, la lumière, la perspective, les nuits et les déboires, les plaisirs et les jours. Cela permet déjà d’avoir un premier repère, une inscription, un numéro utile pour vos anniversaires. Cela donne aussi le point de départ d’une petite idée personnelle du temps dont chacun sait aussi l’importance : telle que la plupart d’entre nous décident, acceptent de le porter en permanence sur eux, découpé en chiffres plus ou moins lisibles et parfois même fluorescents, fixé par un bracelet à leur poignet, le gauche plus souvent que le droit.

Or ce moment exact, Gregor ne le connaîtra jamais, qui est né entre vingt-trois heures et une heure du matin. Minuit pile ou peu avant, peu après, on ne sera pas en mesure de le lui dire. De sorte qu’il ignorera toute sa vie quel jour, veille ou lendemain, il aura le droit de fêter son anniversaire. De cette question du temps pourtant si partagée, il fera donc une première affaire personnelle. Mais, si l’on ne pourra l’informer de l’heure précise à laquelle il est apparu, c’est que cet événement se produit dans des conditions désordonnées.

D’abord, quelques minutes avant qu’il s’extraie de sa mère et comme tout le monde s’affaire dans la grande maison — cris de maîtres, entrechocs de valets, bousculades de servantes, disputes entre sages-femmes et gémissements de la parturiente —, un orage fort violent s’est levé. Précipitations granuleuses et très denses provoquant un fracas étale, feutré, chuchoté, impérieux comme s’il voulait imposer le silence, distordu par des mouvements d’air cisaillants. Ensuite et surtout, un vent perforant de force majeure tente de renverser cette maison. Il n’y parvient pas mais, forçant les fenêtres écarquillées dont les vitrages explosent et les boiseries se mettent à battre, leurs rideaux envolés au plafond ou aspirés vers l’extérieur, il s’empare des lieux pour en détruire le contenu et permettre à la pluie de l’inonder. Ce vent fait valser toutes les choses, bascule les meubles en soulevant les tapis, brise et dissémine les bibelots sur les cheminées, fait tournoyer aux murs les crucifix, les appliques, les cadres qui voient s’inverser leurs paysages et culbuter leurs portraits en pied. Convertissant en balançoires les lustres sur lesquels s’éteignent aussitôt les bougies, il souffle également toutes les lampes.

La naissance de Gregor se déroule ainsi dans cette obscurité bruyante jusqu’à ce qu’un éclair gigantesque, épais et ramifié, torve colonne d’air brûlé en forme d’arbre, de racines de cet arbre ou de serres de rapace, illumine son apparition puis le tonnerre couvre son premier cri pendant que la foudre incendie la forêt alentour. Tout s’y met à ce point que dans l’affolement général on ne profite pas de la vive lueur tétanisée de l’éclair, de son plein jour instantané pour consulter l’heure exacte — même si de toute façon, nourrissant de vieux différends, les pendules ne sont plus d’accord entre elles depuis longtemps.

Naissance hors du temps, donc, et hors de la lumière car on ne s’éclaire qu’ainsi à cette époque, à la cire et à l’huile, on ne connaît pas encore le courant électrique. Celui-ci, tel qu’aujourd’hui nous en possédons l’usage, tarde encore à s’imposer dans les mœurs, il ne serait pas trop tôt qu’on s’en occupe. Comme s’il s’agissait de régler cette autre affaire personnelle, c’est Gregor qui va s’en charger, c’est à lui qu’il reviendra de le mettre au point.


Jean Echenoz, Des éclairs, Éditions de Minuit, chapitre 1
En librairie le 23 septembre 2010

On pouvait entendre aujourd'hui cet écrivain rétif au cirque médiatique sur les ondes de France-Culture, dans l'émission Voyage en Transsibérien :



« Les mots sont beaucoup plus intéressants que les choses »

14 commentaires:

  1. Beaucoup aimé sa démystification du mythe du Transsibérien, et par là, du récit de voyage. Il exprime bien la raison pour laquelle je n'ai moi-même pris aucune note de ce voyage effectué en classe dure en 87.
    Je vois, cher George, avec amusement (!), que vous nous préparez à la rentrée littéraire.

    ArD

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  2. Georg est toujours sur le qui-vive
    Me demande comment vous faites
    Dors pas beaucoup, lis au moins un bouquin par jour
    mais

    Mais, en 87, c'était pas tout à fait la grande époque ; c'était déjà les couchettes molles, comme on dit in China

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  3. Ah non, il y avait les dures et les molles. Dans les dures nous étions six, dans les molles, ils étaient deux (dans le transmandchoue puis transsibérien). Bref, le plus compliqué fut de comprendre que le wagon restaurant fonctionnait sur le fuseau horaire local, tandis que les pendules des gares affichaient l'heure du fuseau horaire de Moscou (il y a six fuseaux dans le pays !). Le wagon restaurant ne faisant aucun excès d'ouverture, j'ai raté la coche pendant jours, jusqu'à ce que je pige.
    ArD

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  4. Vous devriez développer cette histoire, ArD : ça pourrait faire une chouette nouvelle, ces asynchronismes horaires. Mais je me contrefiche de "la rentrée littéraire", comme de toutes les rentrées : Echenoz est assez rare pour qu'on le guette attentivement, voilà tout.

    Ravi de vous retrouver, thé : ça faisait longtemps, au point que j'ai failli aller voir chez CSP si vous y traîniez… Mais je ne suis pas sur le qui-vive, plutôt l'inverse même, sur le qui-meure. Je dors presque en permanence.

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  5. Sinon, c'était bien, Avignon, cette année ? Quelque chose à la hauteur du Régy/Pessoa de l'an passé, qu'il me fut impossible de voir à Paris car tout était loué ?

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  6. Ah, George, j'avais pris le soin d'insérer un point exclamatif entre parenthèses, une sorte d'équivalent approximatif du point d'ironie. Je me doute bien que vous hyper contrefichez des rentrées littéraires de neuf ! Merci pour cet Echenoz.

    On m'encourage souvent à écrire des nouvelles, or je ne sais pas écrire de nouvelles.

    Vous dormiriez avec un œil vif ?

    ArD

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  7. Qui s'en approcherait, dans un tout autre genre
    Angelica Liddell

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  8. Merci, thé.
    Je ne connaissais pas (et ne sais rien d'autre que ce que je lis d'elle), comme tout le monde apparemment, car elle semble en avoir soufflé plus d'un.

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  9. Ah oui, elle décoiffe dites donc ! Merci.
    ArD

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  10. Sinon, l'année dernière, il y avait aussi
    Galvan qui s'approcherait plus de Liddell
    douleur
    mais l'extrait que je propose en donne une faible idée, désolée.

    Sinon aussi, cette année, le décor de Der Prozess

    Et Maarthaler, qui se tient à une frontière où ce n'est plus vraiment théâtre, déjà chant ; et toujours la douleur

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  11. Salut gros tas,

    un petit mot pour vous dire que avec Alberte, on a rasé le cloître d'Alet-les bains au bulldozer pour faire une piste de danse.

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  12. Merci, thé. Votre lien ne fonctionne pas, mais j'imagine qu'il s'agit d'Israël Galvan. Beaucoup de douleur, cette année, en somme.

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  13. Oui, effectivement. Il repassait cet hiver sur Nîmes, mais complet tout de suite ; et donc ne l'ai pas revu
    La douleur est souvent l'essence de ce qui se dit

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