Le maître avait connu intimement le célèbre voyageur Echenoz, qui lors d'une expédition africaine remontant à sa prime jeunesse était allé jusqu'à Tombouctou.
S'étant pénétré, avant le départ, de la complète bibliographie des régions qui l'attiraient, Echenoz avait lu plusieurs fois certaine relation du théologien arabe Ibn Batouta, considéré comme le plus grand explorateur du XIVe siècle après Marco Polo.
C'est à la fin de sa vie, féconde en mémorables découvertes géographiques, alors qu'il eût pu à bon droit goûter dans le repos la plénitude de sa gloire, qu'Ibn Batouta avait tenté une fois encore une reconnaissance lointaine et vu l'énigmatique Tombouctou.
Durant sa lecture Echenoz avait remarqué entre tous l'épisode suivant.
Quand Ibn Batouta entra seul à Tombouctou, une silencieuse consternation pesait sur la ville.
Le trône appartenait alors à une femme, la reine Duhl-Séroul, qui, a peine âgée de vingt ans, n'avait pas encore choisi d'époux.
Duhl-Séroul souffrait parfois de terribles crises d'aménorrhée, d'où résultait une congestion qui, atteignant le cerveau, provoquait des accès de folie furieuse.
Ces troubles causaient de graves préjudices aux naturels, vu le pouvoir absolu dont disposait la reine, prompte dès lors à distribuer des ordres insensés, en multipliant sans motif les condamnations capitales.
[…]
Tel était dans l'exposé d'Ibn Batouta le passage favori de l'explorateur Echenoz, qui, une fois à Tombouctou, s'enquit du Fédéral.
Une scission survenue entre les tribus solidaires l'ayant privé de toute signification, le fétiche, banni de la place publique et relégué comme simple curiosité parmi les reliques d'un temple, avait depuis longtemps sombré dans l'oubli.
Echenoz voulut le voir. Dans la main de l'enfant, intact et souriant, se dressait encore la fameuse plante, qui, maintenant sèche et rabougrie, avait jadis — l'explorateur réussit à l'apprendre — conjuré pendant plusieurs années, jusqu'à produire une complète guérison, chaque nouvelle crise de Duhl-Séroul. Possédant sur la botanique les notions qu'exigeait sa profession, Echenoz reconnut en l'antique débris horticole un pied d'artemisia maritima — et se rappela qu'absorbées en quantité minime, sous la forme d'un médicament jaunâtre nommé semen-contra, les fleurs séchées de cette radiée constituent, en effet, un très actif emménagogue. Pris à une source unique et pauvre, c'est justement à faible dose que le remède avait toujours agi sur Duhl Séroul.
Pensant que le Fédéral, vu son présent délaissement, pouvait être acquis, Echenoz offrit un large prix aussitôt accepté — puis rapporta en Europe la singulière statue, dont l'historique éveilla fort l'attention de Canterel.
Raymond Roussel, Locus solus, chapitre premier, passim
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