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vendredi 31 mai 2013

Les débuts de Manchette (3)



Au même instant, les Versaillais ont enfin repris l'église Saint-Christophe, à la Villette, et ils marchent dans le sang, mais Pruitt n'en sait rien, il n'en saura jamais rien, la question ne présente pour lui aucun intérêt. C'est que Pruitt est assis sur le perron d'une vaste baraque croulante, en bois, à peu près au milieu de l'État du Texas, et il est occupé à nettoyer son arme, un Remington à simple action, dont la crosse de noyer est rayée et blanchie par les chocs, la sueur, le sable. Pruitt est un homme carré et robuste, la mâchoire solide mais les yeux étroits et le sourire un peu vicieux. Tel quel, il est fermement installé dans l'existence, il nettoie soigneusement son revolver.
Le vent léger fait crépiter un peu de poussière contre la toile dure des pantalons de Pruitt. Le vent n'atténue en aucune façon la chaleur. Il vient de loin, mais lentement il s'arrête ici et là dans la plaine de poussière et il y soulève de petits tourbillons rougeâtres, et il est très sec.*
Devant la baraque de bois sont affalés des chariots, des mules, des hommes. Les mules agitent parfois les oreilles. Les hommes somnolent sur le sol, se grattent, marmonnent des plaisanteries éculées. Leur visage est mort, vaincu, verni de crasse et de sueur séchée.
À une certaine distance de la baraque se trouve Potts. Un genou en terre, il examine le sol, il le tripote. Il ne regarde pas Harvey Huddleston, lequel pourtant, assis dans sa voiture, lui parle avec mépris.
— Je m'en fous, est en train de dire Huddleston. Je l'ai dit, je le redis. Pas de crédit !
Il est agacé par le silence de Potts. L'homme est un imbécile, qui arrive ruiné de sa Géorgie natale, achète une terre dont un nègre ne voudrait pas, et croit y faire pousser du coton. Huddleston n'est pas un imbécile. Il est le fournisseur des imbéciles. Il leur vend des outils pour faire des trous dans la poussière, des semences pour mettre dans les trous, des vivres pour attendre que quelque chose se décide à sortir de terre, mais ne sort et les imbéciles s'en vont, plus maigres qu'à l'arrivée, et quelquefois ils toussent, et ils finissent toujours par mourir quelque part dans le Nord, soit que leurs poumons les lâchent, soit qu'un cow-boy décide de faire un carton sur ces imbéciles, ces pauvres imbéciles, ces fermiers de merde. Ce n'est pas le problème de Huddleston. Il se contente de fournir et d'être payé.

Jean-Patrick Manchette, L'homme au boulet rouge (d'après un scénario de Barth Jules Sussman), Gallimard, 1972, coll. "Série Noire" n°1546, rééd. coll. "folio policier" n°444, 2006, pp. 21-23.

* Le thème du vent reviendra au début du dernier roman de Manchette publié de son vivant, La position du tireur couché.

Entre autres choses notables…

9 commentaires:

  1. Un début parfait.
    Le grand style est dialectique. Il fait entendre, par nature, avec une feinte facilité, les résonances, dans l'histoire, de l'Histoire, pliant l'histoire à l'Histoire, les faisant correspondre.
    Il nous souvient qu'adolescent, nous nous trouvâmes fort émus, et indignés, un triste jour, de voir figurer sur la boîte de quelque camembert traditionnel la date de création de cette belle entreprise l'ayant produit depuis lors, sans discontinuer : 1871.
    Pour nous, cette date n'était que d'Histoire, et de sang. Pour le commerçant fromager normand la brandissant ainsi, avec fierté, elle signifiait plutôt ses débuts glorieux. Tout cela concernait pourtant le même monde. C'est toujours le même monde.
    Et en ce qui concerne Manchette, toujours la même langue, étonnamment parfaite

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  2. moi, comme je suis inculte et sans façons, je sais pas vraiment ce qu'est un style dialectique, ni d'ailleurs ce qu'est un grand style ; et, non plus un petit.
    Je sais pas, non plus, si les choses se font entendre "par nature"

    Je crois qu'on plie rien, seul.

    En 1871, ils étaient plusieurs ; et, peut-être qu'ils mangeaient le même camembert

    Le même monde n'existe qu'avec la même langue ; sinon, c'est un monde tout différent
    tout Manchette qu'on soit

    Cet absolu me fait un peu peur ; bien sûr que je le dirais pas pour Manchette, mais même pour un poète

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  3. Moi, comme je suis inculte et sans façons, je pense que pas savoir vraiment n'a jamais fait un argument.
    Mais tout de même, quoique je sois inculte et sans façons, je pense que dégoter du calendosse, en mai 1871, dans une ville à feu et à sang où l'on bouffait du rat tellement on crevait la dalle, ne devait pas être très facile.
    Mais enfin, pour ce que j'en dis, dans l'absolu, la chose n'est pas pliée.

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  4. D'accord avec le Moine, thé : je trouve que vous chipotez.
    Il explique clairement au début de son premier commentaire ce qu'il entend par "style dialectique".
    Et "par nature" est explicité par "avec une feinte facilité" : c'est comme chez Flaubert ou Rousseau, la phrase semble couler naturellement alors qu'elle est extrêmement travaillée (même si Manchette bouclait ses romans en quelques semaines).

    Et puis on sait bien que vous n'avez rien d'inculte, bien au contraire.

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  5. à Lille, 1873-1891, 10 % des décédés possèdent 92,08% de la richesse générale. Idem à Lyon et à Paris
    ( et c'est pas des comptes d'épiciers )

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  6. Désolé, Roger, je suis sans doute trop mou du bulbe : je ne saisis pas votre propos ni ne vois le rapport, hormis que vous mentionnez une époque proche de 1871.
    Pourriez-vous préciser ?

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  7. juste pour savoir :
    Manchette, c'est pas celui qui avait des boutons ?

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  8. Sussman pas, sauf peut-être durant l'adolescence !
    Mais il s'en serait soucié comme de sa première chemise, vu que dès ses débuts en littérature il est parvenu à son acmé…

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  9. quoi qu'il en soit, je vous suggère de laisser Manchette reposer en paix dans un lit digne de ce nom, c'est à dire de 1 m 60
    ( pas comme dans les gîtes de France sordides )

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