Avertissement légal

Tous les textes apparaissant sur ce site sont automatiquement générés par notre nouveau logiciel Hétéronomix™ qui vous libère enfin de la pesante nécessité de réfléchir.
Ne perdez plus votre précieux temps de consommateurice à répondre à vos correspondants, les plus exigeants fussent-ils quant à la teneur conceptuelle ou la qualité des propos échangés : Hétéronomix™ se charge de tout ! Syntaxe et orthographe garanties parfaites et évolutives au fil des décrets.
Approuvé par la norme AFNOR ISO 9001.

vendredi 23 mai 2014

N'exagérons rien !



Tel est le titre français de la traduction de A Travesty (1977), dont l'unique édition chez nous autres date de 1978 (achevé d'imprimer le 23 mai), collection "Super Noire" n°101, relu cette nuit.
Un Westlake de la plus belle eau, hors-séries (ni Dortmunder, ni Parker), dont je ne comprends pas que Guérif ne l'ai toujours pas réédité chez Rivages (remarque, le titre semble toujours disponible chez Gallimouche !)
Un sacré festival bourré de rebondissements, l'histoire d'un critique de cinéma qui tue par mégarde l'une de ses copines, un peu à la Bertrand Cantat (hem, pardon…) : il lui colle une baffe lors d'une  énième dispute, elle glisse sur son parquet trop bien ciré et sa tête heurte de façon fatale l'arête de la table basse.

Ça démarre sec :

« Bon, elle était morte, inutile de pleurer, ça n'y changerait rien. Je lâchai son poignet — pas de pouls — et regardais autour de moi ; une bande sonore de conversations imaginaires se déroulait dans ma tête :
— Et vous dites que vous l'avez frappée ?
— Ma foi, pas tellement fort. Elle a glissé par terre, c'est tout, et elle s'est cogné la tête contre la table basse.
— A la suite du coup que vous lui avez porté ?
— A la suite de sa sacrée manie de cirer le sacré parquet ! »

Après quoi le héros se trisse en douce, parvient à se dépatouiller avec brio d'une tentative de chantage rapport à ce premier meurtre, puis se retrouve en butte aux flics, qui l'innocentent quasi immédiatement, et qu'il aide ensuite, chapitre après chapitre, à résoudre brillamment toute une série de crimes plus tordus les uns que les autres.
Mais ça, ce n'est que le début de ce court roman (244 pages, dans la traduction actuelle de Françoise-Marie Watkins)…

En plus, dans la grande tradition westlakienne, tout le bouquin est truffé de judicieuses réflexions adventices, de réjouissants et pénétrants apartés comme il y en a dans tous les Dortmunder, dans Aztèques dansants, dans Le couperet, etc.
Quelques exemples — et aussi de l'art westlakien de la narration, du dialogue et de la description, et de son économie d'écriture.

« Il y a quelque chose de paresseux et d'inexorable à la fois dans une grande tempête de neige. Pas de vent, pas de vraie tempête, en fait, rien que des des milliards et des milliards de flocons blancs mouillés qui tombent lentement comme des armées chinoises, et au bout d'un moment on ne voit aucune raison pour que ça s'arrête un jour. Ces lourds nuages gris-noir dans le ciel contiennent peut-être des quantités illimitées de flocons blancs mouillés, ils vont peut-être continuer à flotter comme ça éternellement. La vie humaine s'est peut-être épanouie sur une mauvaise planète. »
(p. 127)

« Elle but quelques gorgées, songeuse.
— Le divorce est une chose si affreuse.
Je connaissais par cœur les répliques de cette conversation.
— Et   cependant, c'est parfois la seule solution.
Elle soupira, sirota, re-soupira et murmura :
— Avez-vous lu cet article dans le Reader's Digest du mois dernier ?
— "Nouvel espoir pour les morts" ?
Les grands yeux bleus clignèrent lentement.
— Plaît-il ?
— Excusez-moi. De quel article voulez-vous parler ?
— Celui de cet évêque sur le divorce.
— Non. Il m'aura échappé.
— Il estimait que c'était une très grave décision.
— C'est bien ce que je pense.
— Surtout pour les enfants.
Au diable les enfants.
— Pour les adultes aussi, naturellement.
— Oh, naturellement !
Elle s'interrompit, ruminant ses pensées de poisson rouge, buvant son bourbon à petits coups, l'air aussi splendide et aussi intelligente qu'un coucher de soleil. »
(pp. 149-150)

« Si vous devez commettre un crime — ce que je ne saurais trop déconseiller —une des choses que vous ne devez absolument pas faire ensuite, c'est de coucher avec la femme du policier chargé de l'enquête. Ça crée trop de complications.
A vrai dire et dans l'ensemble, je pense qu'il vaut mieux ne toucher à aucune femme d'officier de police. Tout d'abord, leurs maris se baladent constamment avec des pistolets. Ensuite, il y a beaucoup trop de choses qu'un flic peut vous faire s'il est irrité ; il tire autant de pouvoir de son insigne que de son arme. Je conseillerais donc que les femmes de policiers soient, comme les religieuses, abandonnées aux bandits mexicains. »
(p. 165)

« Ces obsèques avaient lieu dans je ne sais quelle chapelle croate ou ukrainienne de la 9e Rue Est. Le décor était du Frankenstein première époque, ainsi que les vieilles chaisières emmitouflées mêlées à l'assistance, qui marmonnaient toutes seules. Ces gens-là étaient "ethniques" bien avant que le mot devienne à la mode.
Et Laura, je l'apprenais, en avait fait partie. Elle m'avait présenté une fois son père sous le nom de "Frank Ward" mais il se révélait à présent que sept ou huit syllabes orientales se tapissaient depuis toujours derrière cette brièveté anglo-saxonne. Et le mari, le prétendu Penney ? Est-ce que ces pommettes plates étaient anglo-saxonnes ? Sûrement pas.
Pauvre Laura. Née dans le nord de l'état de New York, elle avait passé sa vie en qualité d'Américaine à part entière, et voilà qu'elle la quittait en immigrante. En me rappelant son racisme — je crois bien qu'elle n'aimait aucun de ces groupes — je savais que cette cérémonie n'aurait pu que la bouleverser. Je me dis que c'était aussi bien qu'elle ne soit pas là pour la voir. »
(pp. 178-179)

« [On] me déposa devant un petit hôtel particulier rénové, en briques, dans la 46e Rue, entre les Première et Deuxième Avenues. Tout ce quartier était bourré de missions des Nations Unies et d'ambassades étrangères ; chaque nation en jetait plein la vue dans la mesure de ses moyens. Aux prix de l'East Side, les plus petits pays ne pouvaient se permettre grand-chose, et cette étroite insignifiance architecturale de quatre étages était tout ce que pouvait espérer une modeste mission comme celle de Visaria.
Si j'avais pensé avoir un aperçu du style et de la culture de Visaria en observant l'intérieur de la mission, je fus déçu. Le bâtiment, probablement en état de délabrement avancé quand Visaria l'avait acheté, avait dû être acquis en solde et meublé par correspondance. Les planchers, qui semblaient spongieux et peu sûrs, avaient tous été recouverts d'une moquette bon marché de couleur terne. De faux plafonds, rectangles de contreplaqué bordés de métal, cachaient les originaux très certainement hideux d'une nouvelle et propre hideur, et les murs originaux étaient couverts de boiseries en simili-bois. L'éclairage était fourni par des panneaux fluorescents encastrés dans les faux plafonds. On avait l'impression d'une agence immobilière d'un centre commercial, avec les meubles de circonstance : bureaux en formica imitation bois, canapés de vinyle imitation cuir et corbeilles à papier carrées en vrai métal.
[…]
Une cloison intérieure avait dû être abattue, si bien que le vestibule et l'ancien salon étaient devenus un bureau de réception de forme bizarre. Il était décoré d'une manière appropriée, avec au mur des tableaux qui représentaient peut-être les forêts et les lacs de Visaria, mais qui ressemblaient à mes yeux aux forêts et aux lacs du Michigan. Un petit présentoir de littérature touristique, près de l'entrée, avait un air indéfinissablement désespéré et poussiéreux, comme si les Visariens eux-mêmes ne trouvaient aucune raison à ce qu'on visite leur pays. »
(pp. 184-186)

4 commentaires: