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mercredi 9 février 2011

Un style pas manchot : Manchette


Dans ce troisième état du projet Iris, l’un des romans ultérieurs du cycle Les gens du mauvais temps qui devait débuter par La princesse du sang, Maurer est un acteur raté qu’engage son sosie le magnat Victor Bester — reclus sur une  île lointaine, genre Howard Hugues — pour apparaître à sa place et sous ses traits lors de la fête annuelle du village natal de Bester, pas loin de Toulouse. Surveillé par une nuée de gorilles, Maurer est accompagné pour cette parade — sur l’ordre de Bester — d’une starlette paumée dont sitôt vue il s’est épris : Alba Joy Black.
Victor Bester n’a pas trop eu tort de se faire représenter le temps de cette pénible apparition : le secrétaire de mairie de l’insignifiant village en question, un certain Claude Aimable, est décidé à l’abattre — pour des motifs qui nous demeureront à jamais celés mais qu’on peut imaginer à l’envi — et il s’est entraîné à cette fin.
Voici l’impeccable final du septième chapitre de cette dernière version du roman inachevé, abandonné, là où Manchette s’est arrêté. Le rythme, le style, la patte de l'auteur qui nous arrache vers la vie, même s’il cause que de mort. L'importance des points-virgules, par exemple, quoi qu'en aient dit Léautaud et tant d’autres… Cette musique n’est que de la joie, restée cachée.

Quelque temps auparavant, les émissaires de Victor Bester et le conseil municipal étaient convenus que le potentat ferait sa visite-surprise le jour de la fête annuelle, patronale, paroissiale et commerciale, de la cité. Il fallait respecter autant que possible l’horaire de cette fête. Le départ du défilé de majorettes devait être donné à midi. Victor Bester devait à la même heure prendre place dans la tribune d’honneur, avec des élus locaux et des personnalités de l’industrie et du commerce, pour assister au défilé de majorettes. Après le défilé il devait y avoir un repas. Avant le défilé on avait prévu un apéritif. C’est ce qu’on prenait maintenant en hâte, car midi approchait.
[…]
Les verres se vidèrent. On s’achemina vers l’extérieur. Les gardes du corps serraient de près Maurer qui causait avec le maire et donnait le bras à Alba Joy Black. Tout le monde sortit de l’hôtel de ville par la porte principale. On parcourut* quelques dizaines de mètres à pied, à découvert, pour aller s’installer dans la tribune, un assemblage de barres métalliques et de banquettes en matière plastique, recouvert de toile tricolore. Il était midi. À quelques centaines de mètres, les majorettes se mirent en marche au son d’une musique martiale jouée par une clique en uniformes violines qui s’ébranla à la suite du polygone pailleté de jeunes personnes à peine pubères, au pas.

Au même moment, les occupants de la tribune finissaient de prendre place. Maurer, alias Bester, était assis au premier rang, à la droite du maire ; Alba Joy Black était assise à la droite de Maurer ; les majorettes arrivèrent ; elles défilèrent tête à droite devant la tribune ; Claude Aimable ouvrit le feu. Il était sorti de sa voiture à l’approche du cortège. Il avait appuyé son fusil à tir rapide sur le toit de la Renault 4. Il visa Maurer et pressa la détente. D’abord son tir fut imprécis. C’est qu’il s’était entraîné à tirer à l’horizontale. Tandis qu’à présent il visait une cible surélevée : il tirait sous un angle qu’un cinéaste eût nommé contre-plongée. Presque toute sa première rafale manqua sa cible, d’autant que Claude Aimable ne s’était jamais entraîné à compenser sous cet angle-ci l’effet de recul de son arme. Alors qu’il visait le cœur de Victor Bester, le cœur de Maurer, sa première balle toucha l’homme sur le côté droit de la tête, et tout le reste de la rafale cribla d’impacts les personnes qui étaient assises sur les tréteaux supérieurs de la petite tribune.

Claude Aimable jura et éclata de rire. Il engagea un autre magasin dans son M16. Des gens hurlaient et se convulsaient sur les banquettes de plastique de la tribune. La fanfare hésita, fit des couacs et s’arrêta finalement de jouer. Le polygone de majorettes se défaisait. Les jeunes filles pailletées hésitaient ; il est difficile de passer brusquement d’une situation dans laquelle on se meut dans des règles très strictes et répétitives, à une situation dans laquelle il faut courir pour sauver sa vie. Claude Aimable s’avança sur la chaussée en épaulant son arme, et pressa encore la détente. Maurer avait tout le côté de la tête couvert de sang, il était tombé à présent et il se relevait ; il vit le visage du maire recevoir deux balles ; un fragment de l’arrière de la tête de l’élu local se détacha et tomba sur les genoux d’une femme assise derrière l’homme ; le bout de crâne garni de cheveux et de matière cérébrale se plaqua comme un mollusque entre les cuisses de la dame, sur sa robe imprimée de fleurs ; Maurer se retourna très brutalement sur sa droite, vers Alba Joy Black, et la vit recevoir deux balles dans la gorge et une dans le sein droit ; elle bascula en arrière ; Maurer avait perdu l’équilibre en pivotant ; de plus il reçut à ce moment un projectile qui lui traversa la cuisse en lui fracturant le fémur au passage, et il tomba à plat ventre ; il releva la tête et aperçut Alba Joy Black qui se redressait ; elle se mit même debout ; elle semblait ne plus savoir où elle se trouvait et elle plaquait ses deux mains sur son cou et des morceaux de cartilage se glissaient entre ses doigts et du sang artériel giclait ; elle tomba à genoux. Il régnait un extraordinaire vacarme car presque tous les occupants de la tribune hurlaient, soit qu’ils fussent blessés, soit qu’ils fussent terrifiés. Deux gardes du corps de Maurer avaient sauté par-dessus la balustrade de la tribune. Ils couraient à travers la chaussée où s’égaillaient les majorettes et les musiciens de l’harmonie municipale. Ils rejoignirent Claude Aimable et le jetèrent à terre. L’un d’eux s’assit sur ses jambes. L’autre se pencha sur l’homme renversé et sortit de l’intérieur de sa veste un Colt .45 automatique. Dans la tribune Alba Joy Black était tombée sur le côté et toussait terriblement. Maurer tâchait de ramper vers elle mais deux gardes du corps le saisirent aux aisselles, le soulevèrent et l'emportèrent. Près de la Renault 4 le Colt .45 fut braqué sur les cheveux de Claude Aimable, la détente fut pressée, la tête du secrétaire de mairie éclata. Derrière la tribune des gardes du corps transportaient rapidement Maurer qui saignait et se débattait. Sans savoir comment, il se retrouva sur une civière à bord d'un hélicoptère SA 341 Gazelle qui volait, qui l'emportait au-dessus de la terre, au-dessus de la cité, loin du massacre.

Polar hors-série, Spécial Manchette, avril 1997, pp. 99-102

* Le texte donne « On parcourt ». J'ai pris l'initiative de rétablir le passé simple.

17 commentaires:

  1. Bonne appétit, m'sieu Pop. Ou bonne digestion, plutôt…
    Vous reprendrez bien un peu de cervelle ?

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  2. Très volontiers, j'adore la manière dont le monsieur décrivait les scènes de baston.
    Vous souvenez-vous de cette fin de chapitre où un patron de bistrot vida un canon de fusil de chasse dans l'oreille d'un malfrat ?

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  3. Bon sang, où ai-je les mirettes, moi ?! Bonne appétit ? C'est moi qui mérite la décharge de chevrotine !
    Mais, non, je ne me souviens pas de cette scène : un de ceux que je n'ai pas relus depuis longtemps, sans doute : Laissez bronzer les cadavres, ou encore Ô dingos…

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  4. C'est ça, Ô dingos.

    http://popneuf.blogspot.com/2009/08/deux-heures-en-apesanteur-55.html

    Il vida les deux canons, d'ailleurs.

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  5. Merci : je vais le relire illico.
    Mais est-ce que Nénesse avait bu deux canons, avant que le taulier ne lui en décharge autant dans l'oreille ?
    (boudu ! ça nous rajeunit pas, tout ça : deux ans de discussions, déjà !)
    En tout cas, cette scène du proto-Iris m'émerveille : je ne me lasse pas de la relire.

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  6. c'est bien, entraînez-vous les méméres.
    je sens que vous allez être sélectionnées.

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  7. Le coup de la cervelle sur les genoux, c'est une réminiscence de ce qui se passa à Elm Street...

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  8. Oui, mais ce coup-là l'élu était un peu moins local.

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  9. je dirais que ce texte de Manchette est écrit comme une peinture d'art naïf haïtien, sauf que y'a pas de saveurs.
    c'est gonflant.
    à titre indicatif
    matez ça

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  10. Curieux écho qui résonne jusque dans une lecture personnelle terminée hier et achetée dans votre antre, George, le livre de Jean-Baptiste Thoret : "26 secondes, l'Amérique éclaboussée", parlant du fameux attentat comme d'un élément fondateur dans le cinoche amerloque.
    Faudrait voir du côté de l'écrit.

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  11. vous feriez mieux d'aller voir l'exposition «Sexual Nature», au Musée d’Histoire Naturelle de Londres.
    Croyez-moi.

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  12. Coïncidence, en effet. Je me souviens de ce bouquin. Du côté de l'écrit, je crois qu'il y a eu pas mal de choses, non ? Mais c'est quand même plus une histoire d'images, puisque pour la première fois ce genre d'événement était filmé.

    Merci pour le texte de Chainas, bira, mais je préfère Manchette, moins directement démonstratif.

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  13. Quelle est cette antre où acheter cette bonne came littéraire ? Ca me ferait une adresse en plus des rares librairies et maisons d'édition militantes chez qui je ne trouve pas toujours ce que je cherche, et ça m'éviterait de commander chez Pinault ou à ma zone. L'idéal serait de voler chez Pinault ou Leclerc quand je trouve de quoi me mettre sous la dent dans ces supermarchés, ce qui est rare, mais à ma grande frustration j'ai la frousse et mes rares expériences dans cet art ont été des échecs.

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  14. Envoie-moi un mèle, Wrob, et tu seras dans le secret des lieux.

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