Trois extraits d'un Dortmunder posthume (What's so funny ?, 2007, trad. fr. Pierre Bondil sous le titre Et vous trouvez ça drôle ? pour Rivages, 2012) de ce géantissimahousse de la littérature qu'était Donald Westlake. Une fugace et vivace critique de ce livre ici, aussi.
Il n'était jamais allé aussi loin vers l'est dans la Quatorzième Rue. New York ne possède pas de quartiers à proprement parler, contrairement à la majorité des villes.Ça ressemble plus à des petits villages distincts, séparés, dont certains existent sur des continents différents, certains dans des siècles différents et beaucoup sont en guerre avec leurs voisins. L'anglais n'est pas la langue principale dans nombre d'entre eux, mais l'alphabet romain possède quand même une légère avance.
En regardant par la vitre, Dortmunder essaya de comprendre quelque chose à ce village précis. Il n'était jamais allé en Bulgarie, il faut dire qu'on ne l'y avait jamais invité, mais il avait l'impression que ce coin devait ressembler à une petite ville de ce pays, d'un côté ou de l'autre des montagnes. S'ils avaient des montagnes. (p. 23)
En regardant par la vitre, Dortmunder essaya de comprendre quelque chose à ce village précis. Il n'était jamais allé en Bulgarie, il faut dire qu'on ne l'y avait jamais invité, mais il avait l'impression que ce coin devait ressembler à une petite ville de ce pays, d'un côté ou de l'autre des montagnes. S'ils avaient des montagnes. (p. 23)
[…]
May savait que John avait cette tendance très néfaste, lorsque les choses tournaient anormalement mal, à s'enfoncer avec un plaisir presque sensuel dans un bain chaud de désespoir. Une fois qu'on a abandonné les rênes au désespoir, pour modifier un tant soit peu une célèbre métaphore, il n'y a plus rien à faire. On n'a plus à s'inquiéter de rien, on n'est plus dans la partie. Le désespoir, c'est le banc de touche, et on le réchauffe*.
May savait qu'il lui incombait, dans ces circonstances-là, de l'arracher aux griffes du désespoir et de lui procurer la petite impulsion qui le ferait repartir de l'avant. Après tout, ce n'est pas la question de gagner ou de perdre, c'est juste qu'il faut y participer, à ce fichu match. (pp. 70-71)
[…]
Andy Kelp sortit du grand magasin et rentra chez lui avec trois costumes et deux manteaux sur le corps. Il ne faisait pas à proprement parler aussi froid que ça, dehors, mais il valait quand même mieux les porter que les payer.
Anne Marie était assise à son bureau, dans la chambre, devant l'ordinateur. Elle le regarda et dit : « Tu as pris du poids ?
— Non, répondit-il, j'ai pris de la laine. Laisse-moi retirer ces vêtements.
—D'accord. »
Elle éteignit l'ordinateur et le téléphone sonna.
Kelp jeta un regard d'aversion à l'appareil.
« Ça va être John, dit-il.
— Continue ton strip-tease, moi, je vais lui parler.
— Affaire conclue. »
Il avait réussi à ôter la moitié de sa nouvelle garde-robe quand elle annonça : « C'est John, et il a l'air d'avoir vraiment besoin de te parler.
— Il faut croire. Allô, dit-il dans l'appareil.
— Nous savons où il va être.
— Où il va être. Mais il n'y est pas, là.
— Non, mais il va y être bientôt, et toi et moi, il faut qu'on aille y voir de près, qu'on inspecte les lieux avant que le truc arrive. Un peu plus facile maintenant que plus tard. »
C'était malheureusement vrai. Tout en observant Anne-Marie, qui avait commencé son propre strip-tease, Kelp demanda : « C'est où, alors ?
— Dans Gansevoort Street. Un bureau qui se trouve dans cette rue.
— Un bureau ? Ça ne paraît pas normal.
— Je te donnerai les détails, tu sais, quand ça s'y prêtera mieux.
— O.K., mais… » Il tourna un regard mélancolique en direction d'Anne Marie. « … Anne Marie et moi, on avait prévu quelque chose pour ce soir, un ciné peut-être Tu sais quoi ?
— Quoi ?
— Il y a un hôtel très tendance, là-bas, dans Gansevoort, maintenant que le quartier a changé de standing. Je pourrais t'y retrouver, au bar.
— Parfait. Quand ?
— On devrait en avoir pour assez longtemps, poursuivit Kelp en regardant à nouveau Anne Marie qui souriait. Je te retrouve au bar à minuit », et il tint parole, repéra Dortmunder déjà installé au comptoir. (pp. 241-242)
* Alors là, la traduction m'interloque ! Je ne connais pas le texte d'origine mais il me semble qu'il devrait plutôt être traduit par « … et il vous réchauffe » ou « … et on s'y réchauffe ».
La traduction semble bonne puisqu'il est connu chez les footballeurs qu'on astique le banc de touche… donc on peut bien le réchauffer.
RépondreSupprimerJe confirme : on peut astiquer, cirer ou chauffer le banc de touche. Exemple : "Euh... j'ai signé au Réal pour jouer des matches euh... pas pour chauffer le banc de touche... euh"
RépondreSupprimerAh pardon, je n'avais pas saisi la métaphore sportive (normal, d'ailleurs, puisque je ne connais rien au vocabulaire des fouteboleurs).
RépondreSupprimerMais même ainsi, je ne comprends toujours pas le sens de cette phrase : ça voudrait dire quoi, "réchauffer le désespoir", alors que le sens du texte est plutôt qu'on s'y laisse inertement aller, qu'on s'y enfonce comme dans de la vase chaude ?
L'image sportive n'est pas terrible, si je puis me permettre, mais elle me semble claire, d'autant que l'auteur ajoute "Ce n'est pas la question de gagner ou de perdre, c'est juste qu'il faut y participer, à ce foutu match." Le match c'est la vie. Et la vie est un combat. Or, John refuse d'entrer sur le terrain pour jouer sa partie : désespéré, il renonce à vivre et à se battre, préfère rester en-dehors du jeu, donc sur le banc de touche, qu'il réchauffe, astique ou cire, ou plus simplement : qu'il occupe.
RépondreSupprimerMerci Bruno, je comprends enfin la métaphore ; enfin, plutôt qu'il ne s'agit de rien d'autre qu'une métaphore alors que je restais bloqué jusqu'ici sur le sens possible de l'expression "réchauffer le désespoir".
RépondreSupprimerJohn réchauffe le banc de touche parce qu'il préfère s'y attarder, voire s'y prélasser, plutôt que de retourner sur le terrain pour participer de nouveau à ce fichu match. OK, tout est clair.
'A y est, nous détenons l'objet. Nous allons nous le goinfrer aussitôt après le tome deux de La Princesse du sang en BD. Ahaha, nous bichons comme un petit pou.
RépondreSupprimerZ'êtes z'un veinard, M'sieu Pop !
RépondreSupprimerCh'avais même pas que le deuxième tome était sorti.
Dough Headline parvient bien à tout rabibocher, dans l'histoire d'Ivy ?
Fallait effectivement faire face à la complexité que vous savez. Franchement pas mal, in fine.
RépondreSupprimerJe suis totalement d'accord avec le monsieur du grand Canyon. John D reste en dehors, bien au chaud et peinard et " dans le ventre de la baleine" comme l'a écrit Orwell.
RépondreSupprimerJ'ai ramené le bouquin de France et je me le garde pour la fin. Un peu comme le type qui laisse de côté ses pointes d'asperges pour les déguster à la fin.
Ah, quel plaisir de voir évoqué l'immense Dortmunder. D'autant que celui-ci (commme presque tous les autres, du reste) est délectable.
RépondreSupprimerOn n'estimera jamais assez la qualité de Westlake...
Otto Naumme