J’avais tant aimé son odeur, jadis. Une odeur toujours fraîche : de linge frais ou de sueur fraîche, une odeur de femme fraîchement lavée ou fraîchement aimée. Elle mettait parfois un parfum, je ne sais pas lequel, et il sentait aussi plus frais que tout. Sous toutes ces odeurs fraîches, il y en avait encore une autre, lourde, sombre, entêtante. Souvent j’ai flairé sa peau comme un animal curieux, je commençais par le cou et les épaules qui sentaient la toilette toute fraîche, j’aspirais entre les seins un effluve de sueur fraîche, qui se mêlait aux aisselles avec l’autre odeur, je retrouvais presque pure cette odeur lourde et sombre à la taille et au ventre, et entre les jambes avec une coloration fruitée qui m’excitait, je reniflais aussi ses jambes et ses pieds, les cuisses où l’odeur lourde se perdait, le creux derrière les genoux où je retrouvais le léger effluve de sueur fraîche, et les pieds avec leur odeur de savon ou de cuir ou de fatigue. Le dos et les bras ne sentaient rien de particulier, ne sentaient rien mais sentaient elle tout de même, et dans le creux des mains était l’odeur de la journée et du travail : encre des tickets, métal de la poinçonneuse, oignons, poisson ou friture, eau de lessive ou vapeur du repassage. Quand on les lave, les mains ne trahissent d’abord rien de tout cela. Mais le savon n’a fait que recouvrir les odeurs et, au bout d’un moment, elles sont de nouveau là, atténuées et fondues en un unique parfum du jour et du travail, le parfum du terme du jour et du travail, le parfum du soir, du retour à la maison, du chez-soi.
Bernhard Schlink, Le liseur [Der Vorleser, 1995], trad. Bernard Lortholary, Gallimard, 1996, rééd. coll. "folio" n°3158, pp. 218-219
RépondreSupprimer" le creux derrière les genoux ", s'appelle le creux poplité.
Je crois bien que c'est la première fois de ma vie que j'ai l'occasion d'écrire ce mot que je connais depuis des dizaines d'années sans la moindre utilité. Grâce à Suskink, à vous et à la providence, c'est fait désormais. La vie est belle, non ?
Exact, cher ami, et le regretté Gébé avait d'ailleurs consacré une BD de plusieurs planches à ce terme (mais je suis infichu de vous préciser dans quel album des éditions du Square) et c'est grâce à lui que je l'avais découvert, sans avoir moi non plus l'occasion de jamais l'employer.
RépondreSupprimerPeut-être le terme n'a-t-il pas d'équivalent en allemand, ou bien alors Bernard Lortholary a jugé que cela aurait dissonné dans ce texte où tous les mots sont fort simples…
Avec «poplité», on serait dans le registre anatomique et effectivement, cela dénoterait de cette simplicité remarquable (dont j'admire aussi la maîtrise de la répétition des mots). C'est un peu comme s'il parlait de nuque, de derme et d'omoplates, à la place de cou, de peau et des épaules.
RépondreSupprimerArD
(Je soupçonne une coquille dans le retranscription du titre original, qui, à mon sens, devrait être : der Vorleser. Non?)
Merci, chère amie : vous formulez parfaitement ce que je ressentais confusément : le vocabulaire médical n'a pas sa place dans ce texte, que j'ai moi aussi apprécié, hormis le fond, pour ces répétitions à satiété ("fraîche", notamment) qui pourtant n'alourdissent nullement le paragraphe.
RépondreSupprimerConcernant le titre, je n'ai pas présentement l'ouvrage sous la main pour vérifier mais il me semble avoir correctement recopié. Selon votre proposition, Lortholary aurait alors traduit par Le lecteur : "liseur" n'existe pas plus en français que "Vorleserer" en allemand…
Remarque judicieuse et pertinente. Bien vu !
RépondreSupprimerArD
Hé bien, hem ! figurez-vous que pas tant que ça : j'ai vérifié hier soir sur mon exemplaire et le titre original est bien que que vous subodoriez.
RépondreSupprimerJe rectifie de ce pas : merci !