Et il arrivait parfois ce qui arrive à présent : George Weaver est en train de rouler sur le boulevard périphérique extérieur. Il y est entré porte de Châtillon. Il est deux heures et demie ou peut-être trois heures un quart du matin. Une section du périphérique intérieur est fermée pour nettoyage et sur le reste du périphérique intérieur la circulation est complètement bloquée. Sur le périphérique extérieur, il y a peut-être trois ou quatre ou au minimum deux cents véhicules par kilomètre. Quelques-uns sont des camions dont plusieurs sont extrêmement lents. Les autres véhicules sont des voitures particulières qui roulent toutes à faible vitesse, bien en-deçà de la limite légale. Plusieurs conducteurs sont ivres. C'est le cas de George Weaver. Il a bu huit verres de bourbon 4 Roses. D'autre part il a absorbé, voici environ trois heures de temps, deux comprimés d'un barbiturique puissant. L'ensemble n'a pas provoqué chez lui le sommeil, mais une euphorie tendue qui menace à chaque instant de se changer en colère ou bien en une espèce de mélancolie vaguement tchékhovienne et principalement amère qui n'est pas un sentiment très valeureux ni intéressant. George Weaver roule à moins de 80 km/h.
George Weaver est un homme de moins de cinquante ans. Sa voiture est un break Opel blanc sale. Le tissu des sièges est gris-noir, et de même l'ensemble des décorations intérieures de l'automobile. L'intérieur de George Weaver est sombre et confus, on y distingue vaguement des idées libertaires. Au tableau de bord de la voiture, au-dessus des cadrans, on ne voit pas de plaque métallique mate où seraient gravés le nom de George, son adresse, son groupe sanguin, ni de représentation merdeuse de saint Christophe. Par le truchement de deux diffuseurs — un sur chacune des portières avant — un lecteur de cédés diffuse à fort niveau des chansons françaises des années soixante : du Monique Morelli, du Marc Ogeret, du Nino Ferrer, du Gérard Manset. Mais pas seulement : je sais par exemple qu'à un moment, ce qui est diffusé est (Ghost) Riders in the Sky de Stan Jones, par Scatman Crothers.
La raison pour laquelle George roule ainsi sur le périphérique avec des réflexes diminués et en écoutant cette musique-là, il faut la chercher surtout dans la place de George dans les rapports de production. Le fait que George a presque tout perdu au cours de l'année n'entre pas en ligne de compte. Ce qui arrive à présent arrivait parfois auparavant.
George Weaver prendrait le volant et irait se perdre le long des routes de province. En Bretagne, il irait à la rencontre des mouettes et des hérissons. Ivre d'air marin, il se laisserait pousser la barbe; puis au troisième jour, en aspirant des huîtres iodées, il se dirait: avec cette barbe blanche et cette peau dure comme de la carne, ce matin je me rase et change de chaussettes...
RépondreSupprimerMerci de la suggestion, cher ami : c'est à étudier, même si ce tableau ressemble plutôt pour moi à une anamnèse.
RépondreSupprimerLes huîtres sauvages sont assez rétives à se laisser décrocher des rochers, dont on ne les distingue d'ailleurs qu'à grand-peine…
George Gerfaut, quant à lui, avait d'ailleurs pareillement décanillé dans la nature, mais c'était dans les montagnes du Sud.
L'air frais est salvateur. Prenez soin de vous...
RépondreSupprimerGeorge Weaver a planté son wigwam sous le feu des missiles et embrassé la jolie fermière qui jamais ne panique à needle park. La caténaire a deux trous rouges au côté droit et le Cardinal Richelieu survole la scène avec son Canadair. Gouvernements, casernes et cathédrales sont en feu. George Weaver porte un joli nom: Saturne. Le chien fantôme de Pearline traverse la nuit. Le vote est désormais acquis à la majorité des deux tiers: sur la route. Cap au pire, mais chapeau bas. La fermière a maintenant dévoré George: Encore sauvé. Le mirliton est l'opium du peuple. Dansons.
RépondreSupprimerOuais... Eh ben le George, il ferait mieux de reprendre le collier au lieu de faire dans la macération oiseuse, tudieu !
RépondreSupprimerLe Tenancier ne va pas tarder à venir lui dire sa façon de penser.
Hé ben je vais penser à panser mes défaillances et ma délectation morose, le Tenancier ! Mais je serai évidemment ravi de votre visite, si éprouvante soit-elle…
RépondreSupprimerMerci pour ce ragaillardissement, Marquis : votre plume sabre comme le foudre !
Je prends soin, cher UdJ, je prends soin… et même tagada soin-soin !
George... Points de suspension.
RépondreSupprimerArD
Ainsi, George Weaver serait un homme, qui plus est de moins de cinquante ans, non un esprit du siècle dernier...
RépondreSupprimerTss... Méfiance...
Tss, tss… Méfiance, cher Moine, entre tous ces faux-semblants et ces chausse-trappes : qui sait ?
RépondreSupprimerMais si, ArD : suspension, justement !
J'en ai pas mal marre, à vrai dire, et suis vraiment trop fatigué. Cette bouquinerie méritait bien son nom, au final…
Bel exercice, en tout cas!
RépondreSupprimerAssez facile, tout de même : ça demande moins de travail que vos pastiches de jadis chez Bakchich. Mais l'identité des prénoms était trop tentante…
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