Georges Brassens et André Hardellet étaient amis.
Cependant, Brassens écrivit et interpréta en 1969 la chanson Révérence parler, qu’il modifia en 1972, supprimant les cinq premières strophes (ici entre crochets — on peut lire d’autres plaisantes variantes sur cette page) et la rebaptisant Le Blason.
[Ma muse est sans conteste une franche poissarde
Qui n’a pas peur des mots, qui l’a prouvé déjà,
Qui vous enfourche son Pégase à la hussarde,
Qui plutôt deux fois qu’une appelle un chat un chat.
N’ai-je pas dit putain, n’ai-je pas dit vérole
N’ai-je pas dit bordel, merde, que sais-je encore ?
Dans cette folle course aux triviales paroles,
N’ai-je pas dès longtemps établi le record ?
Beau séant féminin, t’ai-je pas dit en face,
Ayant troussé ta robe en un geste incongru,
« Tu n’es que de la fesse et que grand bien nous fasse » ?
Oui ou non, Callipyge, ai-je chanté ton cul ?
Cependant, n’en déplaise aux prudes imbéciles,
Ne pas mâcher les mots, c’est un art délicat.
Nommer un chat un chat, c’est souvent difficile,
Parfois même impossible — aujourd'hui c’est le cas.
Car avant de partir sur la barque fatale
Pour je ne sais quel vague et morne terminus,
J’eusse aimé célébrer, sans causer de scandale,
Le plus noble de tous les blasons de Vénus.
Imitant de Marot l’élégant badinage,
J’eusse aimé célébrer sans être inconvenant…]
Ayant avecques lui toujours fait bon ménage,
J'eusse aimé célébrer sans être inconvenant,
Tendre corps féminin, ton plus bel apanage,
Que tous ceux qui l'ont vu disent hallucinant.
C’eût été mon ultime chant, mon chant du cygne,
Mon dernier billet doux, mon message d'adieu.
Or, malheureusement, les mots qui le désignent
Le disputent à l'exécrable à l'odieux.
C'est la grande pitié de la langue française,
C'est son talon d'Achille et c'est son déshonneur
De n'offrir que des mots entachés de bassesse
À cet incomparable instrument de bonheur.
Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c'est fort malencontreux
Que la fleur la plus douce, la plus érotique
Et la plus enivrante en ait de plus scabreux.
Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres, pas plus, familier, coutumier.
Il est inexplicable, il est irrévocable.
Honte à celui-là qui l'employa le premier !
Honte à celui-là qui, par dépit, par gageure,
Dota de même terme, en son fiel venimeux,
Ce grand ami de l'homme et la cinglante injure !
Celui-là, c'est probable, en était un fameux.
Misogyne à coup sûr, asexué sans doute,
Aux charmes de Vénus absolument rétif
Était ce bougre qui, toute honte bue, toute,
Fit ce rapprochement d'ailleurs intempestif.
La malpeste soit de cette homonymie !
C'est injuste, Madame, et c'est désobligeant,
Que ce morceau de roi de votre anatomie
Porte le même nom qu'une foule de gens.
Fasse le ciel qu'un jour, dans un trait de génie,
Un poète inspiré que Pégase soutient
Donne, en effaçant d'un coup des siècles d'avanie,
À cette vraie merveille un joli nom chrétien !
En attendant, Madame, il semblerait dommage
— Et vos adorateurs en seraient tous peinés —
D'aller perdre de vue que, pour lui rendre hommage,
Il est d'autres moyens, et que je les connais…
Et que je les connais.
Je trouve fort bien venue l’insistance de Brassens sur la sonorité de ce dernier mot, et aussi que l’on puisse entendre en divers sens cette bribe de vers : « sans être inconvenant ».
Or, cette même année 1969, son ami André Hardellet publiait simultanément chez Pauvert et à « L’Or du Temps », sous le nom de Stève Masson, ce texte magnifique, Lourdes, lentes…, qui lui vaudra une condamnation judiciaire (pour "outrages aux bonnes mœurs") dont il ne se remettra pas. On y lit ceci :
Je vais employer (c’est déjà fait) des mots sales. Il le faut. Il faut que je vous tire de votre sommeil et de votre hypocrisie, que je vous explique comment ça se passe.
Gueulez au charron, ameutez les pouvoirs publics tant que vous voudrez, mais accordez-moi ceci : je reste bien en deçà de vos divertissements cachés, de vos ballets oniriques.
Le plus beau mot de la langue française (avec loisir) est le mot CON.
Le con. Ton con. Montre-moi ton con, Germaine. Dégage-le bien avec tes doigts. Écarte-le, ton con. Les grandes lèvres, les petites lèvres. Tes lèvres, ton baiser. Ton con. Le seul. Un con. Les mots, les images se dégradent avec le temps et l’habitude. C’est une question d’innocence retrouvée (et si le terme innocence vous incline à ricaner, sachez que je vous emmerde) ; encore faut-il avoir envie de réanimer le pouvoir primitif et magique des mots. CON provoque toujours chez moi le même choc dès que je parviens à l’entendre réellement hors de son con-texte. Le con. Je m'en pourlèche. Le con de Germaine, de Mariechen, de Vanessa, de Yaël. A chacune le sien, avec son parfum, son galbe, son sel, sa dentelle.
Je voudrais que des types trapus, des ethnologues, des linguistes m’expliquent pourquoi ces trois lettres sont devenues le symbole de la, de notre, stupidité ; ces trois lettres de la Grande Cérémonie.
Sacrés cons vous-mêmes.
Gueulez au charron, ameutez les pouvoirs publics tant que vous voudrez, mais accordez-moi ceci : je reste bien en deçà de vos divertissements cachés, de vos ballets oniriques.
Le plus beau mot de la langue française (avec loisir) est le mot CON.
Le con. Ton con. Montre-moi ton con, Germaine. Dégage-le bien avec tes doigts. Écarte-le, ton con. Les grandes lèvres, les petites lèvres. Tes lèvres, ton baiser. Ton con. Le seul. Un con. Les mots, les images se dégradent avec le temps et l’habitude. C’est une question d’innocence retrouvée (et si le terme innocence vous incline à ricaner, sachez que je vous emmerde) ; encore faut-il avoir envie de réanimer le pouvoir primitif et magique des mots. CON provoque toujours chez moi le même choc dès que je parviens à l’entendre réellement hors de son con-texte. Le con. Je m'en pourlèche. Le con de Germaine, de Mariechen, de Vanessa, de Yaël. A chacune le sien, avec son parfum, son galbe, son sel, sa dentelle.
Je voudrais que des types trapus, des ethnologues, des linguistes m’expliquent pourquoi ces trois lettres sont devenues le symbole de la, de notre, stupidité ; ces trois lettres de la Grande Cérémonie.
Sacrés cons vous-mêmes.
Lourdes, lentes…, UGE, 10/18, pp. 18-19
la gatta
RépondreSupprimerFrehel, pour changer
RépondreSupprimererreur corrigée
RépondreSupprimerdifférent
RépondreSupprimerla fête est finie dès que la mécanique quantique s'en mêle
RépondreSupprimeralors out of
RépondreSupprimerEt pour finir car je m'en vais ce soir pour quelque temps
RépondreSupprimerla totale !
RépondreSupprimerInconditionnel de Brassens, j'avoue pourtant que ce Blason m'a toujours un peu ennuyé - certes pas par son thème, mais par le côté trop scolaire de son écriture. La musique non plus ne me paraît pas satisfaisante, et la page à laquelle vous renvoyez montre d'ailleurs qu'elle a donné du fil à retordre à Brassens. Ne croyez-vous pas, enfin, qu'il aurait fallu interdire à Pierre Nicolas de jamais utiliser un archet? Il l'a rarement fait, mais dans les quelques cas où il s'y est risqué il a ruiné avec un vibrato sirupeux les accompagnements de certaines belles chansons, Pensées des morts de Lamartine, et même Les Passantes - beaucoup plus émouvante dans la version de travail dépouillée (voix/guitare) qui a été éditée il y a quelques années. Dans le cas du Blason, avouez que le sujet appelait plutôt qu'il titillât sa contrebasse en pizzicati!
RépondreSupprimerEt puisque vous parlez d'Hardellet, cher George, souvenons-nous que s'il a très rarement osé s'aventurer dans le domaine de la chanson, quand il l'a fait, ç'a été pour écrire un petit chef d'oeuvre.
chanté là par Patachou ; je préfère
RépondreSupprimerJ'aime bien Patachou mais je trouve la version de Béart plus touchante, moins jouée; les harmoniques de sa voix communiquent immédiatement le sentiment de la chanson. Et puis c'est Béart qui non seulement a composé la musique, mais a aidé Hardellet à accoucher du texte.
RépondreSupprimerPour en revenir à Brassens, deux petits plaisirs, ici et là.
Par ailleurs, "L’amitié" - même électronique et anonyme - "n’oblige nullement, et c’est heureux, à partager les mêmes opinions en tout"!
RépondreSupprimerJe signale aussi qu'on trouve d'intéressantes analyses sur Hardellet dans les pages d'un blogue hélas fermé, mais dont les archives restent consultables (à la différence d'autres…), et dont le titre avait tout pour nous plaire.
RépondreSupprimerah tiens je savais pas pour les cinq premières... cimer l'ex !!!
RépondreSupprimersinon, "le testament" à tout jamais, et "à mon frère revenant d'italie"...
voilà
ubi,
mode sans maj
ouiiiiiiiiiiiiiiii
RépondreSupprimermon soop "con" aussi
http://zgur.20minutes-blogs.fr/archive/2009/04/18/pour-pierre-etaix-l-artiste-contre-la-complicite-d-albanel-a.html#comments
scoop (volante)
RépondreSupprimerc'est arrivé près de chez vous
RépondreSupprimerthanks George, pour le think it off
RépondreSupprimerThieboudienne
Kézako, bira ?
RépondreSupprimerHé bien, joyeuse ambiance musicale par ici hier soir ! Béart n'est d'ordinaire pas ma tasse de thé (thé, merci pour Galliano), mais il a chanté quelques belles choses : les vieilles chansons de France, Laura, et naturellement cette merveille qu'est Bal chez Temporel. Dommage que Hardellet n'ait pas écrit plus de chansons.
Mais surtout, merci, cher Anonyme — qui semblez décidément versé dans bien des arts — pour l'indication du blogue ingirum : quelqu'un qui associe Debord, Hardellet, Fred Deux, bandes dessinées, Traven, Maurice Sendak et tant d'autres à mon goût, j'ai presque tendance à croire que c'était moi, dans une vie parallèle oubliée ! Je vais essayer de lire tout ça. Comment donc êtes-vous tombé là-dessus ?
À propos du Blason (Pierre Nicolas aurait effectivement mieux fait de se montrer plus chatouilleux), la page liée montre que ce n'est pas seulement la mélodie qui a donné du fil à retordre à Brassens : il a retravaillé abondamment le texte, et je ne comprends pas bien la raison de toutes ces suppressions; certaines variantes me semblaient mieux venues que le texte final.
Le deuxième extrait que vous mentionnez, Anonyme, j'imagine qu'il provient également du film de René Clair ? Je n'ai jamais vu Porte des Lilas, mais cela donne furieusement envie… Bussière impeccable, comme d'habitude.
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=orj5A-pMaM4
RépondreSupprimerpour vous ouvrir le monde, George
+ A la liste des chansons estimables de Béart, j'en ajouterais quelques autres, dont une j'aime en fait pour le scopitone auquel elle a donné lieu; j'en ai naguère donné le lien sur le blogue de notre cher (ex-)Colonel, pensant que ça pouvait flatter son goût pour le style Godard début sixties (Geneviève Galéa, la compagne de Béart filmée dans ce scopitone, a tourné dans Les Carabiniers.)
RépondreSupprimer+ Comment suis-je tombé sur le blogue In girum? Je n'en sais fichtre plus rien; peut-être simplement en faisant une recherche sur le palindrome latin (vous vous souvenez peut-être que je me suis interrogé sur la source à laquelle Debord l'avait emprunté); ou peut-être en cherchant ce que l'on pouvait trouver en ligne sur Hardellet, justement. Les scans de l'édition originale de Lady Long Solo qui y sont reproduits sont une ressource particulièrement précieuse, je trouve.
+ La suppression des strophes initiales du Blason: à mon avis, c'est simplement pour que la chanson (qui fait déjà 5'15" sans ce préambule) n'excède pas trop le format habituel. Pour cette même raison, Brassens a aussi coupé (à regret, sans doute) une superbe strophe des Passantes ("A la fine et souple valseuse…") - elle figure heureusement sur l'enregistrement de travail auquel je faisais allusion, et Maxime Le Forestier ne manque jamais de la chanter.
+ le deuxième extrait est effectivement tiré aussi de Porte des Lilas, un film que je juge pour ma part assez réussi, et que l'on peut se procurer en DVD à condition de ne pas se refuser catégoriquement (pour les raisons que l'on sait) à faire gagner de l'argent à René Chateau.
Il est amusant de signaler que lorsque Renaud a sorti, voici une quinzaine d'années, un CD de reprises de Brassens, un clip avait été réalisé qui détournait cette scène du film de René Clair: voir ici.
Merci pour tout : le scopitone de Béart est en effet étonnant : certains plans font penser à Debord, plus qu'à Godard. Mais ce que je n'aime pas chez Béart, c'est justement son côté sautillant, genre Bécaud, qui sied mal à son timbre de voix, genre Vive la rose ou Rosa rosa rosam.
RépondreSupprimerQuand au clip de Renaud, qui date apparemment d'avant l'ère des trucages numériques, les incrustations sont parfaites. On se croirait dans une retouche stalinienne. Ainsi, Renaud réussit à partager la table de Brassens… « Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. »
Maintenant je me souviens: je cherchais des renseignements sur Paul Berna, un auteur pour la jeunesse dont mon père, il y a bien longtemps, m'avait fait lire les romans que lui-même avait aimés dans son enfance. Gougueule n'indiquait pas énormément de liens, j'ai tout de suite cliqué sur In girum à cause de son titre. J'ai été frappé par la finesse des textes mis en ligne et j'ai lu avidement la totalité des archives. (Voilà, ça n'avait d'intérêt que pour moi, mais puisque vous posiez la question…)
RépondreSupprimerQuand j'ai découvert ce site, il y a plus d'un an, il était encore actif et était assez différent de ce qu'il en reste à présent: son auteur (que je ne suis pas parvenu à identifier) faisait alterner ses articles analytiques avec des incipit de romans (dans un esprit proche de votre série "prières d'insérer") et avec des textes brefs, peu connus, qu'il prenait la peine de transcrire pour les sauver de l'oubli. Quand il a fermé son blogue, il a retiré tout cela des archives pour alimenter deux blogues séparés; mais je regrette l'effet produit par l'alternance entre ces rubriques. Parmi les textes qu'il a mis en ligne, il y a une extraordinaire nouvelle policière dont je ne saurais trop vous recommander la lecture, si vous ne la connaissez déjà.
Ah, vous trouvez aussi que le scopitone de Béart fait penser à Debord; je n'osais le dire. J'aimerais bien savoir qui l'a réalisé, mais je n'ai pas trouvé d'information à ce sujet; si ce n'est que Lelouch, à cette époque, a réalisé anonymement de très nombreux petits films de ce genre.
RépondreSupprimerMon cher, je suis évidemment un fondu de Cami (dont hélas toutes les tentatives de réédition échouent régulièrement), mais je ne me souviens pas de celle-là. Je la lirai à tête reposée. En revanche, je ne connais pas Paul Berna, qui du coup m'intrigue mais là je n'ai pas trop le temps de chercher : départ en vue.
RépondreSupprimerMerci pour l'historique de ce blogue détriplé. L'idée des incipit n'est pas neuve, mais elle sied particulièrement bien à un blogue. Bon, beaucoup de lecture numérique à venir, dirait-on…
Lelouch, faire du Debord ? Glups, voilà qui serait un sacré scoop !
Bien scandaleusement oublié, Hardellet. Je dispose de ses oeuvres complètes en trois volumes à l'Arpenteur. Lourdes, lentes mais aussi Le seuil du jardin et le parc aux Archers. Je n'ai éprouvé un tel trouble devant ce fantastique érotique et politique qu'en lisant certain livres de Dorémieux, admirable "petit maître" de la sf des années 60-70
RépondreSupprimer+ Inutile d'aller lire Berna, cher George: c'est estimable, mais il me semble qu'il faut l'avoir lu enfant pour prendre plus tard à sa lecture un plaisir essentiellement nostalgique. Déjà ça de moins à lire!
RépondreSupprimer+ Je précise par ailleurs que "Paul Berna" est un pseudonyme: ce Berna-là n'a donc rien à voir avec Serge Berna, co-fondateur avec Debord de l'Internationale lettriste (et dont personne, à ma connaissance, ne sait ce qu'il est devenu après le milieu des années 50).
+ Le parc des Archers me semble assez inférieur au Seuil du jardin; ce que je préfère, quant à moi, c'est le recueil de proses brèves Les Chasseurs, tant apprécié de Breton et de Gracq. Et si possible, il faut le lire dans l'édition originale, chez Pauvert, illustrée de délicieuses gravures détournées.