On peut certes dire qu’un livre qui traite du rapport naturel du citoyen et du tyran a beaucoup perdu de son actualité avec les récents progrès de la société mondiale, du fait de la disparition presque totale du citoyen. Mais il est aussi permis de penser qu’il compense cette perte, et au-delà, du fait de la prolifération cancéreuse de la tyrannie : cette tyrannie d’aujourd’hui, si insolemment surdéveloppée qu’elle peut même assez souvent se faire reconnaître le titre de Protecteur de la Liberté ; si minutieusement impersonnelle, et qui s’incarne si aisément dans la personne d’une seule vedette du pouvoir ; cette tyrannie qui choisit à la fois comment ses sujets devront se soigner et pourquoi ils seront malades ; qui fixe le triste modèle de leur habitat et le degré exact de la température qui devra y régner ; l’apparence et le goût qui devront plaire dans un fruit, et la dose convenable de chimie qu’il lui faudra contenir ; et qui enfin s’est donné la puissance de défier une vérité aussi éclatante que le soleil lui-même, et le témoignage de vos pauvres yeux, en vous faisant admettre qu’il est bel et bien midi à dix heures du matin.
« Note de l’éditeur pour Tuer n’est pas assassiner [Killing No Murder] d’Edward Sexby (1657) », Champ Libre, juillet 1980
(tr. Carpentier de Marigny, 1658)
(tr. Carpentier de Marigny, 1658)
Pendant très longtemps, le seul fait de se revoir en train de pousser le corps sur la voie le remplit d’une exaltation suffisante pour le libérer des sentiments qui le rongeaient, et puis, le bruit sourd du corps contre la rame et les hurlements commencèrent à s’amplifier, toujours davantage, et bientôt, l’homme tendit les bras, agrippa Harry, l’entraînant avec lui dans sa chute.
Et puis bientôt, il fut frappé d’une autre plaie, ou plus précisément ce mal remonta du tréfonds de lui-même, petit à petit, pour venir affliger son esprit. Ce qui n’était d’abord qu’une vague intuition se changea bientôt en une certitude absolue. Il la sentait monter en lui, et pendant un court laps de temps, il essaya de résister, de nier, puis il se résigna à accepter le fait qu’il allait recommencer. C’était inéluctable. Lorsqu’il se fut rendu à l’évidence, il prit conscience d’un autre fait : il n’éprouverait aucune satisfaction en procédant de la même façon que la première fois.
Harry eut beaucoup de difficultés à essayer d’imaginer la manière dont il allait s’y prendre cette fois-ci. Après y avoir réfléchi une minute ou deux, il se sentit pris de nausées, et même, se mit à trembler légèrement. Et alors, il comprit pourquoi il ne servirait à rien de procéder de la même façon. Son rôle n’avait pas été assez actif. Cette fois, il lui fallait un contact personnel avec sa victime. C’était ça, la solution. Il lui fallait s’engager plus directement, s’engager plus totalement.
Cette fois encore, la fièvre de l’attente chassa la tension et l’anxiété, et il se sentit libéré. Mais au fond de lui-même, il savait qu’il ne pourrait pas attendre longtemps et que, s’il s’y risquait, les sentiments habituels reviendraient le torturer.
À cette idée, il était effrayé car cela signifiait qu’il était forcé d’admettre un autre fait non moins inéluctable que les précédents : chaque fois que ces sentiments s’emparaient de lui maintenant, c’était avec une force accrue. Il savait aussi qu’il lui fallait à tout prix les chasser, sinon ils finiraient par le détruire. Il devait indiscutablement les contenir.
Et puis bientôt, il fut frappé d’une autre plaie, ou plus précisément ce mal remonta du tréfonds de lui-même, petit à petit, pour venir affliger son esprit. Ce qui n’était d’abord qu’une vague intuition se changea bientôt en une certitude absolue. Il la sentait monter en lui, et pendant un court laps de temps, il essaya de résister, de nier, puis il se résigna à accepter le fait qu’il allait recommencer. C’était inéluctable. Lorsqu’il se fut rendu à l’évidence, il prit conscience d’un autre fait : il n’éprouverait aucune satisfaction en procédant de la même façon que la première fois.
Harry eut beaucoup de difficultés à essayer d’imaginer la manière dont il allait s’y prendre cette fois-ci. Après y avoir réfléchi une minute ou deux, il se sentit pris de nausées, et même, se mit à trembler légèrement. Et alors, il comprit pourquoi il ne servirait à rien de procéder de la même façon. Son rôle n’avait pas été assez actif. Cette fois, il lui fallait un contact personnel avec sa victime. C’était ça, la solution. Il lui fallait s’engager plus directement, s’engager plus totalement.
Cette fois encore, la fièvre de l’attente chassa la tension et l’anxiété, et il se sentit libéré. Mais au fond de lui-même, il savait qu’il ne pourrait pas attendre longtemps et que, s’il s’y risquait, les sentiments habituels reviendraient le torturer.
À cette idée, il était effrayé car cela signifiait qu’il était forcé d’admettre un autre fait non moins inéluctable que les précédents : chaque fois que ces sentiments s’emparaient de lui maintenant, c’était avec une force accrue. Il savait aussi qu’il lui fallait à tout prix les chasser, sinon ils finiraient par le détruire. Il devait indiscutablement les contenir.
Hubert Selby Jr, Le Démon, Les Humanoïdes Associés,
coll. « Speed 17 », 1977 (tr. Marc Gibot), pp. 314-[315]
Je me suis permis de corriger ici en quelques endroits indispensables (« aggripa », « à tous prix »…) le texte de cette édition, Manœuvre et Dionnet ayant toujours considéré orthographe et syntaxe comme réservées aux bourgeois ou aux pleutres, alors que l’accord sur la langue est le socle minimal de tout échange discursif. Bon, ça les arrangeait bien, cette posture, histoire de pas larguer des ronds aux correcteurs, et voilà ce que ça donne — sans parler qu’ils ont fini aux Enfants du rock avant de se liquéfier dans l’abandon au spectacle comme tout le monde —, ceci explique toujours cela, et vice versa.
coll. « Speed 17 », 1977 (tr. Marc Gibot), pp. 314-[315]
Champ libre, les Humanoïdes associés, Eric Losfeld, j'ai l'impression d'être né dix ans trop tard, parfois.
RépondreSupprimerMais non : imaginez l'horreur de vivre le terrible désenchantement de 1969-1973…
RépondreSupprimerEt puis Losfeld, vous savez, c'est juste après-guerre qu'il a créé Arcanes et Le Terrain Vague : 1947, je crois. Après sa mort, sa femme a continué à gérer le fonds, depuis la librairie de la rue de Verneuil où l'on trouvait encore des trésors au début des années 80. Puis tout a été soldé. Quand vous aviez vingt ans, Champ Libre avait pignon sur la rue saint-Sulpice, et tout le fonds y était encore disponible. C'est là que j'ai trouvé les magnifiques Œuvres cinématographiques complètes reliées, le seul livre que je regrette vraiment d'avoir offert (à une new-yorkaise, incidemment) car tout le fonds Debord a été pilonné à sa demande quand il est parti chez Gallimard. Mais on trouvait encore bien des titres voici peu chez Ivrea, et souvent au prix d'origine, avant le dégât des eaux qu'ils ont subi en 2007.
Quant aux Humanos, la collection "Speed 17" ne comprend qu'une douzaine de titres, dont la plupart ont été réédités ailleurs.
Un dernier détail : tout ceci se trouve chez les bouquinistes (enfin, ceux qui ne se les réservent pas à leur propre plaisir), réels ou virtuels.
RépondreSupprimerLe pilonnage du fonds Debord chez Champ Libre/Gérard Lebovici ne concernait que les ouvrages dont il était l'auteur (et le premier essai sur le Jargon d'Alice Becker-Ho), pas ceux dont il était le traducteur (comme le rapport Censor, les admirables Stances sur la mort de son père de Manrique, la Protestation devant les libertaires du présent et du futur sur les capitulations de 1937 par un Incontrôlé de la Colonne de Fer: quel formidable titre), ni ceux qu'il avait préfacés anonymement (comme le pamphlet de Sexby). Ceux-là, on les trouvait encore chez Ivrea il y a quelques années, en effet.
RépondreSupprimerQuant à Manœuvre et Dionnet, souvenez-vous quand même de L'Impeccable, cher George… Et surtout, rendons-leur grâces d'avoir publié dans Métal un grand moraliste des temps modernes: le Jeune Albert d'Yves Chaland. Il n'y a pas que Charlie Schlingo dans la vie!
En ce temps là, les armées du conquérant partirent pour envahir le monde.On ne savait qui ils étaient ni d'où ils venaient, mais seulement qu'un jour ils seraient là.Parfois ils étaient arrêtés, quelquefois même ils reculèrent, mais toujours ils revenaient.Et les vaincus allaint grossir leurs rangs.Ça aussi ça avait de la gueule !
RépondreSupprimerDésolé, docteur, je n'ai pas lu Les armées du conquérant, mais ce beau résumé est alléchant.
RépondreSupprimerAnonyme, merci pour vos précisions. J'avoue mon ignorance quant à L'impeccable, que je n'ai jamais regardé.
Je reconnais pleinement que Manœuvre et Dionnet (qui vient d'ailleurs d'ouvrir un blogue) ont été de formidables passeurs dans bien des domaines, et pas seulement pour Chaland, mais la prolifération de coquilles dans les textes qu'ils ont publiés exaspère le lexomaniaque que je suis. Je me souviens avoir failli interrompre ma lecture de Frontière des ténèbres, d'Eric Ambler, tellement les pages grouillaient de fautes.
Bien sûr qu'il n'y a pas que Schlingo : non seulement Chaland, mais Gébé, Yves Got, Touïs, Kamagurka, Pierre La Police, Lewis Trondheim, Marc-Antoine Mathieu, José Parrondo, Mezzo et Pirus…
Avais pas vu, suis distraite. Entièrement d'accord sur l'accord sur la langue
RépondreSupprimerMais je ne connais pas tout ça
En dehors de cela ou de ceci, pourrait-on avoir un texte de vous non colorié ?
Ne suis pas quelqu'un de fidèle à internet. Viens plusieurs heures et ne reviens plus du tout de certains jours
RépondreSupprimerLes couleurs sont bien pratiques pour distinguer les textes d'auteurs différents. En quoi cela gêne-t-il ?
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