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jeudi 30 avril 2009

Siegfried, « incarnation bakouninienne »*





À propos de cet extrait du Siegfried de Wagner, notre honorable correspondant aux éditions Sao Maï, Laurent Zaïche, nous a fait parvenir le commentaire suivant :

Devant l'incapacité de son père adoptif, un gnome sarkozien (ou : "Niblung" dans le lexique wagnérien) nommé Mime, à reforger une épée dont il ne subsiste que des morceaux épars, Siegfried se met lui-même au boulot, et apprend la métallurgie en quelques instants pour disposer bientôt, après quelques coups de marteau vigoureux donné sur une enclume qu'il fait carrément exploser à la fin du passage, d'un glaive ("Schwert") invincible nommé NOTHUNG ("détresse") symbole phallique évident et tranchant, qui lui permettra ensuite d'éventrer Fafner, un dragon personnifiant l'Argent, dormant sur le tas d'or qu'il protège ...
Wagner avait spécifié lui-même l'emploi des instruments voulus, pour cette scène, allant jusqu'à indiquer par des didascalies le rythme des (authentiques) coups de marteau que le ténor interprétant le rôle devait donner dans cette forge reconstituée, donnant à l'ensemble une tonalité marxiste-léniniste ce me semble très prononcée.

L'intérêt de la scène vient aussi du fait que pendant que Siegfried forge, le gnome Mime qui ronge son frein, stupéfait par la soudaine maîtrise technique du novice, finit par conspirer, rêvant de dérober ce fameux anneau — dont plus tard rêvera aussi Tolkien — qui lui donnerait le Monde, une fois Siegfried et le frère de Mime (Alberich) mis hors d'état de lui nuire.
Au plan symbolique, enfin, cette autonomie du héros forgeant lui-même ses références, maîtrisant son destin, assumant ses choix radicaux de création sans dépendre de qui que ce soit, est ce qui permit à Shaw ce jugement sur Siegfried comme incarnation des concepts de Bakounine. L'ambiguïté sur le teutonisme, "l'identité" raciale est malheureusement incontestable, quoique problématique, la complexité et la désinvolture traditionnelle de Wagner à ce sujet ne pouvant être simplement ramenées au stupide positivisme racialiste du fascisme allemand, qu'il annonce, certes, mais comme symptôme décadent, ni plus ni moins, par exemple, que certains délires nietzschéens…

* George Bernard Shaw, auteur de cette phrase mémorable : « À quoi sert l'argent s'il faut travailler pour en avoir ? »

Métro Jourdain

On a reçu ceci, du Comité de Belleville :
Hier [mardi 28], une amie a été arrêtée par la SDAT (Sous-direction antiterroriste) ici, dans son quartier, parce qu'elle s'est montrée solidaire avec les inculpés du 11 novembre. L'attaque contre nos volontés de lutter, de s'entraider, se poursuit avec sa logique d'isolement et d'intimidation : nos amitiés désormais répréhensibles n'en seront pas brisées pour autant.

RASSEMBLEMENT JEUDI 30 AVRIL À 18 H, DEVANT L'EGLISE DE JOURDAIN

Comité de Belleville
Des détails sur cette arrestation sur le blogue de Benjamin.

mercredi 29 avril 2009

Instructions pour la manifestation du Premier mai*

À tous ceux et celles qui vont manifester,

D’abord merci d’avoir rangé votre colère au placard pendant six semaines depuis le 19 mars. Nous comptons sur vous pour continuer ainsi à n’exprimer votre mécontentement que lorsque nous vous le dirons et seulement de la manière dont nous vous dirons de le faire.
C’est pourquoi nous vous donnons pour la manifestation qui vient les instructions suivantes :

— Manifestez paisiblement sous les bannières respectives de vos organisations et méfiez-vous des individus sans étiquette. Ne répétez que les slogans lancés par nos sonos. Ne dites surtout pas : « Casse-toi pauv’con et emmène tes potes » !

— Ne cédez pas aux provocations. Si la police vous tape dessus, tendez l’autre joue. N’allez pas vous faire prendre pour des casseurs et, par-dessus, discréditer le mouvement.

— Dès que l’ordre de dispersion sera donné, rentrez chez vous et allumez la télé pour admirer combien nous étions nombreux, avec un peu de chance, vous vous verrez deux secondes aux infos.

— Dites-vous que « ça va les faire réfléchir » et patientez encore quelques mois avant d’admettre qu’ils s’en foutent complètement et continuent à vous chier dessus.

— N’allez surtout pas décider que cette manif ne devrait pas s’arrêter tant que les arrogants salopards contre qui elle est paraît-il dirigée gardent leur pouvoir de nuire.

— N’écoutez pas ceux qui parlent de grève générale illimitée, ce sont des agents provocateurs qui veulent nuire aux syndicats et au mouvement.

— N’allez surtout pas vous organiser directement à la base afin de poursuivre et durcir le mouvement, ce n’est pas la peine, nous nous occupons de tout.

— Evitez si possible de déclencher une grève, ou, si vous le faites, arrangez vous pour qu’elle ne gêne pas trop votre employeur et les autorités. Evitez de troubler l’ordre qui veut que chacun reste dans sa niche sans trop tirer sur sa laisse.

Faites-nous confiance.

Soyez réalistes.

CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, Ministère de l’emploi et de l’intérieur, TF1 et chaînes complémentaires associées illimited.

* Texte trouvé sur cette page.

Chanson, échanson*, méchant son

Les détails de cette image sont visibles sur cette page.


Attentifs ensemble… et aussi vigilants que la SDAT, qui vient de procéder à une nouvelle arrestation dans le cadre de l'affaire dite "de Tarnac". Le Monde et Libé reproduisent tout aussi fidèlement que Le Parisien les informations distribuées par les flics.
« — Était-ce donc ceci ? »
— C'était ça.

* « Ah ! tarir toutes les urnes ! »

mardi 28 avril 2009

Hippopotamine

Charlie Schlingo et Les Silver d'argent avaient depuis longtemps trouvé le moyen — certes un peu lourd, mais fort simple —, sinon de se soustraire à toutes les fièvres létales induites par la course effrénée du capitalisme, du moins de les considérer avec certaine indolence jadis célébrée ou magnifiée par Baudelaire.


Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;
Je veux te peindre ta beauté,
Où l’enfance s’allie à la maturité.

Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,
Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ;
D’un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;
Je veux te peindre ta beauté,
Où l’enfance s’allie à la maturité.

Ta gorge qui s’avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante est une belle armoire
Dont les panneaux bombés et clairs
Comme les boucliers accrochent des éclairs ;

Boucliers provocants, armés de pointes roses !
Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs !

Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,
Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent,
Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,
Comme deux sorcières qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.

Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,
Sont des boas luisants les solides émules,
Faits pour serrer obstinément,
Comme pour l’imprimer dans ton cœur, ton amant.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ;
D’un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

Charles Baudelaire, « Le beau navire », in Les fleurs du mal

dimanche 26 avril 2009

« Courir », ça marche.

Les Allemands sont entrés en Moravie. Ils y sont arrivés à cheval, à moto, en voiture, en camion mais aussi en calèche, suivis d’unités d’infanterie et de colonnes de ravitaillement, puis de quelques véhicules semi-chenillés de petit format, guère plus. Le temps n’est pas venu de voir de gros panzers Tiger et Panther menés par des tankistes en uniforme noir, qui sera une couleur bien pratique pour cacher les taches d’huile. Quelques Messerschmitt monomoteurs de reconnaissance de type Taifun survolent cette opération mais, seulement chargés de s’assurer de haut que tout se passe tranquillement, ils ne sont même pas armés. Ce n’est qu’une petite invasion éclair en douceur, une petite annexion sans faire d’histoires, ce n’est pas encore la guerre à proprement parler. C’est juste que les Allemands arrivent et qu’ils s’installent, c’est tout.
Le haut commandement de l’opération se déplace en automobiles Horch 901 ou Mercedes 170 dont les vitres arrière, obturées par des rideaux gris finement plissés, ne laissent pas bien distinguer les généraux. Plus exposées, les calèches sont occupées par des officiers moins gradés à long manteau, haute casquette et croix de fer serrée sous le menton. Les chevaux sont montés par d’autres officiers ou remorquent des cuisines de campagne. Les camions transporteurs de troupes appartiennent au modèle Opel Blitz et les motos, des side-cars lourds Zündapp, sont pilotées par des gendarmes casqués à collier métallique. Tous ces moyens de transport s’ornent d’oriflammes rouges à disque blanc contenant cette croix noire un peu spéciale qu’on ne présente plus, et que les officiers arborent aussi sur leurs brassards.
Quand tout ce petit monde, il y a six mois, s’est présenté dans les Sudètes, il a été plutôt bien reçu par les ressortissants allemands de la région. Mais à présent, passée la frontière de Bohême-Moravie, l’accueil est nettement plus froid sous le ciel bas et plombé. À Prague, le petit monde est entré dans un silence de pierre et, dans la province morave, les gens ne sont pas non plus massés au bord des routes. Ceux qui s’y sont risqués considèrent ce cortège avec moins de curiosité que de circonspection sinon de franche antipathie, mais quelque chose leur dit qu’on ne plaisante pas, que ce n’est pas le moment de le faire voir.

[…]

Les Soviétiques sont entrés en Tchécoslovaquie. Ils y sont arrivés par avion et en chars d’assaut. D’abord par un vol de l’Aeroflot d’où un groupe de parachutistes en civil, appartenant aux unités d’élite Spetsnaz, est discrètement descendu pour prendre le contrôle de l’aéroport de Prague. Puis par d’autres avions frappés de l’étoile rouge, des chasseurs Mig et de gigantesques Antonov An-12 contenant du matériel lourd ainsi que la 103e division aéroportée de la Garde. Celle-ci s’est mise en mouvement vers le centre de Prague, investissant en chemin le palais présidentiel. Puis sept mille unités blindées mécanisées des troupes du pacte de Varsovie, massées aux frontières du pays, ont convergé vers sa capitale pour l’investir avec cinq cent mille soldats.
Ce sont des chars de modèle T-54, T-55 et T-62, et les Spetsnaz sont équipés de pistolets Makarov, de fusils d’assaut AK-47 ou de leurs variantes à crosse pliable, de mitrailleuses légères RPK-74, de fusils de précision SVD Dragunov et de lance-grenades monocoup AGS-17. On pourrait juger un tel arsenal approprié à une guerre ou à une invasion, mais pas du tout. Il ne s’agit pas non plus d’une petite annexion en douceur comme il y a trente ans, non. Il s’agit juste de ce que les Soviétiques viennent mettre un peu d’ordre dans un régime dont ils se pensent maîtres, dont l’évolution actuelle leur apparaît comme une fâcheuse dérive et qu’il convient de normaliser rapidement. Ils arrivent donc avec les armées de cinq pays du pacte et ils s’installent, voilà tout.
Une dizaine d’heures suffisent pour que la ville tombe aux mains des parachutistes puis, après que la jonction avec les forces terrestres s’est réalisée, les chars soviétiques pénètrent Prague en force. Après quoi c’est en moins de vingt-quatre heures que s’effectue l’occupation physique du pays.
Quand ce petit monde entre dans Prague, ce n’est pas glacial qu’est l’accueil, c’est aussitôt hostile et résistant. On se rassemble en pleine nuit sur la place Wenceslas pour faire face aux T-55 stationnés çà et là, moteurs ronflants. Quand leurs conducteurs tentent de s’en extraire, ils sont accueillis par des huées gigantesques. Puis, tirées depuis les toits du Musée national, quelques balles viennent bientôt s’écraser sur la carapace des chars. Les tankistes regagnent précipitamment leurs habitacles, les capots se referment, les tourelles tournent sur elles-mêmes, tous les blindés se mettent à tirer à la fois. Les vitrines du musée explosent, des fragments de façades s’effondrent.
Cependant que des échos de rafales, mitrailleuses et pistolets-mitrailleurs, commencent de claquer un peu partout en ville, les manifestants se ruent maintenant vers l’immeuble de la radio qui continue d’émettre et dans la direction duquel progressent aussi les chars. Tirant d’abord en l’air puis de plus en plus bas, ils bousculent, défoncent, écrasent les voitures garées là, frayant un chemin aux fantassins chargés de l’occupation de l’immeuble. Puis la radio est occupée à huit heures du matin, les émissions des studios réguliers sont coupées. C’est réglé.

Jean Echenoz, Courir, Éditions de Minuit, 2008, pp. 7-9 et 135-137

samedi 25 avril 2009

Fred Deux, deuxième

Donc, personne n'a daigné écouter les intéressants propos du bonhomme, qui raconte entre autres les actes de sabotage des nains employés dans son usine (réquisitionnée par les Allemands sous l'Occupation) à riveter les extrémités des ailes d'avion ?
Ou comment il s'est intéressé au dessin via Leroy et ses propres déjections ?
Ou à quoi pouvait penser, dans les années trente, un prolétaire adolescent assigné à sa tâche infecte par l'ordre qui continue de plus belle de nous mener ?
Ou comment il a tenté de s'en sortir, par le vélo, par la boxe, par la natation, pour toujours finir par lâcher l'affaire ?
Les feuilles mortes se ramassent à rappel : c'est audible ici.

Matérialisme dialectique


M'est revenue récemment à l'esprit la chanson-générique de ce feuilleton-là, une improbable coproduction télévisuelle franco-roumaine de 1972 — après l'ORTF, mais la guerre froide durait encore, doucement.
J'avais sept ans — je laisserai toujours dire que c'est le plus bel âge de la vie (bien qu'il y en ait d'autres, aussi, très heureusement), celui des premiers baisers, de la découverte de l'émoi —, je descendais regarder ces Haïdouks (au nom qui n'était que sonore à mon esprit si puéril) dans la loge des concierges portugais (deux ans avant la « révolution des œillets
» aujourd'hui célébrable) de l'immeuble où nous habitions, moi et mes parents qui « n'avaient pas la télé ».
Les causes, naturellement, produisent des conséquences — sans quoi on ne pourrait leur accorder cette dénomination.
Mais c'est parfois contre certaine surdétermination jadis soulignée par Althusser.

À quoi ça tient ?

Des airs de solitude

On parlait naguère par ici de la traduction du terme latin solitudo. Jean-Noël Jeanneney recevait justement ce matin, dans son intéressante émission Concordance des temps, une historienne qui vient de consacrer un ouvrage au thème de la solitude aux XVIIe et XVIIIe siècles. Liberté de la solitude, contrainte de l'isolement… c'était plaisamment instructif.

dimanche 19 avril 2009

Du côté de chez Lévinas



Le film de Robert Mulligan,
L'Autre, est adapté d'un roman de l'acteur Thomas Tryon, The Other (1971), traduit en français sous le titre Le visage de l'autre (Albin Michel, 1973, tr. Colette-Marie Huet), dont voici le début du prière d'insérer figurant sur la quatrième de couverture de la réédition en collection « Le livre de poche » (1977, n° 7009) :
Tout est familier et tout est bizarre.
Tout est réel et tout est imaginaire.
Tout est vrai et tout est faux.
Un enfant qui,
tour à tour, existe et n'existe pas.
Une maison peuplée d'ombres énigmatiques.
La chaleur, la moiteur, l'oubli,
le souvenir, de mystérieuses incantations
qui très vite deviennent
des tourbillons d'épouvante. L'autre.
Le visage de l'autre.

samedi 18 avril 2009

Rêver en ce palais

L’amitié n’oblige nullement, et c’est heureux, à partager les mêmes opinions en tout.
Georges Brassens et André Hardellet étaient amis.
Cependant, Brassens écrivit et interpréta en 1969 la chanson Révérence parler, qu’il modifia en 1972, supprimant les cinq premières strophes (ici entre crochets — on peut lire d’autres plaisantes variantes sur cette page) et la rebaptisant Le Blason.



[Ma muse est sans conteste une franche poissarde
Qui n’a pas peur des mots, qui l’a prouvé déjà,
Qui vous enfourche son Pégase à la hussarde,
Qui plutôt deux fois qu’une appelle un chat un chat.

N’ai-je pas dit putain, n’ai-je pas dit vérole
N’ai-je pas dit bordel, merde, que sais-je encore ?
Dans cette folle course aux triviales paroles,
N’ai-je pas dès longtemps établi le record ?

Beau séant féminin, t’ai-je pas dit en face,
Ayant troussé ta robe en un geste incongru,
« Tu n’es que de la fesse et que grand bien nous fasse » ?
Oui ou non, Callipyge, ai-je chanté ton cul ?

Cependant, n’en déplaise aux prudes imbéciles,
Ne pas mâcher les mots, c’est un art délicat.
Nommer un chat un chat, c’est souvent difficile,
Parfois même impossible — aujourd'hui c’est le cas.

Car avant de partir sur la barque fatale
Pour je ne sais quel vague et morne terminus,
J’eusse aimé célébrer, sans causer de scandale,
Le plus noble de tous les blasons de Vénus.

Imitant de Marot l’élégant badinage,
J’eusse aimé célébrer sans être inconvenant…]

Ayant avecques lui toujours fait bon ménage,
J'eusse aimé célébrer sans être inconvenant,
Tendre corps féminin, ton plus bel apanage,
Que tous ceux qui l'ont vu disent hallucinant.

C’eût été mon ultime chant, mon chant du cygne,
Mon dernier billet doux, mon message d'adieu.
Or, malheureusement, les mots qui le désignent
Le disputent à l'exécrable à l'odieux.

C'est la grande pitié de la langue française,
C'est son talon d'Achille et c'est son déshonneur
De n'offrir que des mots entachés de bassesse
À cet incomparable instrument de bonheur.

Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c'est fort malencontreux
Que la fleur la plus douce, la plus érotique
Et la plus enivrante en ait de plus scabreux.

Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres, pas plus, familier, coutumier.
Il est inexplicable, il est irrévocable.
Honte à celui-là qui l'employa le premier !

Honte à celui-là qui, par dépit, par gageure,
Dota de même terme, en son fiel venimeux,
Ce grand ami de l'homme et la cinglante injure !
Celui-là, c'est probable, en était un fameux.

Misogyne à coup sûr, asexué sans doute,
Aux charmes de Vénus absolument rétif
Était ce bougre qui, toute honte bue, toute,
Fit ce rapprochement d'ailleurs intempestif.

La malpeste soit de cette homonymie !
C'est injuste, Madame, et c'est désobligeant,
Que ce morceau de roi de votre anatomie
Porte le même nom qu'une foule de gens.

Fasse le ciel qu'un jour, dans un trait de génie,
Un poète inspiré que Pégase soutient
Donne, en effaçant d'un coup des siècles d'avanie,
À cette vraie merveille un joli nom chrétien !

En attendant, Madame, il semblerait dommage
— Et vos adorateurs en seraient tous peinés —
D'aller perdre de vue que, pour lui rendre hommage,
Il est d'autres moyens, et que je les connais…
Et que je les connais.

Je trouve fort bien venue l’insistance de Brassens sur la sonorité de ce dernier mot, et aussi que l’on puisse entendre en divers sens cette bribe de vers : « sans être inconvenant ».
Or, cette même année 1969, son ami André Hardellet publiait simultanément chez Pauvert et à « L’Or du Temps », sous le nom de Stève Masson, ce texte magnifique, Lourdes, lentes…, qui lui vaudra une condamnation judiciaire (pour "outrages aux bonnes mœurs") dont il ne se remettra pas. On y lit ceci :

Je vais employer (c’est déjà fait) des mots sales. Il le faut. Il faut que je vous tire de votre sommeil et de votre hypocrisie, que je vous explique comment ça se passe.
Gueulez au charron, ameutez les pouvoirs publics tant que vous voudrez, mais accordez-moi ceci : je reste bien en deçà de vos divertissements cachés, de vos ballets oniriques.
Le plus beau mot de la langue française (avec loisir) est le mot CON.
Le con. Ton con. Montre-moi ton con, Germaine. Dégage-le bien avec tes doigts. Écarte-le, ton con. Les grandes lèvres, les petites lèvres. Tes lèvres, ton baiser. Ton con. Le seul. Un con. Les mots, les images se dégradent avec le temps et l’habitude. C’est une question d’innocence retrouvée (et si le terme innocence vous incline à ricaner, sachez que je vous emmerde) ; encore faut-il avoir envie de réanimer le pouvoir primitif et magique des mots. CON provoque toujours chez moi le même choc dès que je parviens à l’entendre réellement hors de son con-texte. Le con. Je m'en pourlèche. Le con de Germaine, de Mariechen, de Vanessa, de Yaël. A chacune le sien, avec son parfum, son galbe, son sel, sa dentelle.
Je voudrais que des types trapus, des ethnologues, des linguistes m’expliquent pourquoi ces trois lettres sont devenues le symbole de la, de notre, stupidité ; ces trois lettres de la Grande Cérémonie.
Sacrés cons vous-mêmes.
Lourdes, lentes…, UGE, 10/18, pp. 18-19

Désolation

Dans la grande tradition jadis inaugurée par Les Moissonneuses, voici un émouvant hommage à Buenaventura Durruti et aux différentes tentatives historiques d'établissement d'un communisme libertaire. Remarquons que Nicoletta l'interprète ici juste après l'échec de la dernière tentative, en 1968, et qui plus est sur le sol espagnol même, n'hésitant pas à s'exposer aux foudres de Franco.

vendredi 17 avril 2009

Conséquences fastidieuses d’une ancienne ruse de la lutte des classes


Les premiers clercs qui, au IXe siècle, se mirent à écrire en langue romane, se sont servis naturellement de l’alphabet latin et ont imité, tant bien que mal, la graphie latine, notant comme ils pouvaient les sons romans étrangers au latin. Au XIIe siècle, les scribes (1) étaient arrivés à constituer une orthographe simple, claire et rationnelle : tout en veillant à garder l’étymologie, ils reproduisaient aussi fidèlement que possible les sons tels que la prononciation les faisait entendre ; ils supprimaient les lettres qui avaient cessé d’être prononcées : astenir (lat. abstinere), cors (lat. corpus), batesme (lat. baptisma), etc. ; ils employaient, à la finale, x pour représenter –us provenant d’une l vocalisée en u devant s : cheuax (= chevaus, prononcé chevaws), tex (= tels, teus), etc. Cependant, dès la fin du XIIe siècle, cet x commença à se doubler de l’u, déjà implicitement contenu dans x : chevaux.

Au XIIIe siècle, le français fut admis, sous la tutelle du latin, dans les actes publics de la justice et de la Chancellerie : dans les bureaux, tout un peuple de praticiens amoncelaient des écritures judiciaires de toutes sortes ; entre les mains de ces praticiens, qui ne savaient guère que quelques bribes de latin, l’excellente orthographe du XIIe siècle se dégrada étrangement : au nom du principe de la distinction, les clercs de la Chancellerie royale, du Parlement et des autres juridictions abusèrent des lettres étymologiques ou prétendues telles ; ils écrivaient, par exemple : recepte, baptesme, escripre, febvrier, presbtre, debte, etc. ; établissant entre certains mots des analogies arbitraires, ils leur imposaient des similitudes tout empiriques : defense, despense devenaient deffence, despence (d’après des mots comme influence), macon devenait masson (d’après masse), forsene devenait forcene (d’après force), etc. ; ils différenciaient les homonymes par des moyens variés : vint (lat. viginti) devenait vingt pour être distingué de il vint ; un devenait ung pour n’être pas confondu avec la notation numérale VII, etc.
En outre les scribes surchargeaient de lettres superflues quantité de mots et doublaient souvent les consonnes non seulement par pure fantaisie de calligraphes, mais aussi et surtout pour enfler leur copie, augmenter le nombre de pages et par là grossir leur salaire ; ils écrivaient par exemple : Iacques, vieulx, oncques, avecques, meffaire, chappelle, etc.

Ainsi dégradée par les praticiens des
XIIIe, XIVe et XVe siècles, l’orthographe, faussement savante, était devenue empirique et encombrée de lettres qu’on ne prononçait pas.

(1) Il faut faire ici au scribe GUIOT, le très intelligent copiste des œuvres de Chrétien de Troyes, l'honneur de le nommer.

Maurice Grevisse, Code de l'orthographe française, Bruxelles, éditions Baude, 1965, pp. [9]-10

vendredi 10 avril 2009

Danse avec l'État

Ceux qu'a intéressés la critique formulée entre autres par Alain Brossat, dans son texte TOUS COUPAT TOUS COUPABLES, à l'adresse de la stratégie défensive intra-démocratique adoptée par la plupart des soutiens aux inculpés du 11 novembre, liront avec profit le texte « Danse avec l'État. Dénoncer l'exception jusqu'à en oublier la justice », dans L'Envolée n°25 (pp. 28-31), qui vient de paraître. Disponible dans quelques librairies, en infokiosques et bientôt en téléchargement sur le site du journal.

mardi 7 avril 2009

Fable-express

J'ai complètement oublié qui est l'auteur de ce trait de génie :
Souvent les filles dans le Borinage
À quinze ans ont perdu leur pucelage
Moralité :



Le concerto en sol mineur

samedi 4 avril 2009

Sieg Heil !

L’INTERVIEWER — Mais croyez-vous que vous devez être d’accord avec ce que la plupart des gens autour de vous pensent ?
RUTH — Eh bien, c’est-à-dire que, quand je ne le suis pas, je me retrouve toujours à l’hôpital.

Ceci était rapporté en 1964 par Ronald D. Laing et A. Esterson dans Sanity, Madness and the Family (L’équilibre mental, la folie et la famille, Maspero, 1971, p. 183, tr. Micheline Laguilhommie). En 1971, Ken Loach donnera des études de Laing une impeccable illustration cinématographique : Family Life.
Aujourd’hui, c’est directement en prison que vous conduit la moindre déviance par rapport à la norme spectaculaire marchande. Julien en fait encore les frais, mais ce n’est qu’un parmi tant d’autres. Et pour ceux qui sont sortis de la détention provisoire, le contrôle judiciaire n’est pas tellement plus rose. Benjamin est assigné à résidence en Normandie, chez sa mère, où il se morfond, à des centaines de kilomètres de tous ses amis. Il comparaissait hier en appel pour le rejet de son énième demande d’allègement de ce contrôle, afin d’obtenir l’autorisation de reprendre son travail à l’épicerie de Tarnac.
Dans l'affaire des arrestations de janvier 2008 consécutives à la construction policière de la «MAAF» (voir Mauvaises intentions), peu après la libération d’«Isa» et la réincarcération de «Farid», cela a été vendredi 27 mars au tour de Damien de sortir de prison, au bout de sept mois et demi de détention provisoire, lui aussi sous contrôle judiciaire et assigné à résidence. Il témoignait hier par téléphone au micro de L’Envolée (Fréquence Paris Plurielle, 106.3 MHz, rediffusion mardi 7 avril de 08 h à 09 h 30) : la juge antiterroriste qui a signé sa demande de libération a pris soin de lui préciser qu’il ne pouvait sortir de chez lui que pour se rendre à son travail ou aux convocations judiciaires, pas même pour faire ses courses : « Vous les ferez en rentrant de votre travail, comme la plupart des Français ! »